lord Albemarle, ambassadeur d’Angleterre, présenter son compatriote à la cour de Versailles, où il reçoit un excellent accueil. Le frère cadet de Théobald[1]fut l’objet de la même faveur ; et c’est celui-là seul qui a droit à notre attention.
Ce dernier personnage vivait loin de la politique, dont il abandonnait le soin à son aîné. Esprit cultivé, littéraire, il fréquentait le clan des philosophes, sans négliger toutefois les relations mondaines : « Il vint hier souper chez moi, écrit le duc de Luynes[2], et il eut l’honneur de jouer à cavagnole avec la Reine. » Il avait pour ami l’un des plus fidèles commensaux de Mme du Deffand, James Crawford[3], Écossais d’origine et Parisien par élection, « cœur excellent, assure Walpole, jeune, chaud, sincère et impatient de se prodiguer. » Ce fut Crawford qui, en l’année 1757, introduisit le gentilhomme irlandais dans le salon de Saint-Joseph. Il y fut bien reçu, et il s’y plut si fort qu’il y revint presque chaque jour ; mais Mme du Deffand ne fut pas longue à découvrir qu’il y venait moins pour elle-même que pour sa jeune compagne, et que les causeries des soupers, — si étincelantes fussent-elles, — étaient pour lui d’un moindre attrait que certains tête-à-tête dans un coin discret du salon. Elle s’aperçut aussi, ce qui l’alarma davantage, que ces assiduités ne trouvaient pas Julie aussi indifférente que les soupirs du chevalier d’Aydie ou les quatrains du président Hénault, et que le cœur de la jeune fille se laissait peu à peu gagner par la douce contagion d’un attachement sincère.
Les informations manquent sur l’âge, sur la fortune et sur les intentions du galant étranger ; on ignore même s’il était marié ou garçon. Toujours est-il que la marquise jugea cette cour compromettante et résolut d’y mettre fin. Miss Berry, légataire des papiers de Walpole et, par surcroît, de ceux de Mme du Deffand, assure que cette dernière se conduisit, en cette conjoncture délicate, de la façon la plus irréprochable : « Il existe encore, dit-elle[4], des lettres qui lui furent écrites par M. de Taaffe, exprimant à la fois les sentimens qu’il a portés à Mlle de Lespinasse et sa reconnaissance pour la conduite que Mme du Deffand a tenue envers elle. Ces lettres prouvent que, dans cette