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sobre, tendu de moire bouton d’or, avec des rideaux de même nuance, que relevaient « des nœuds couleur de feu, » tandis que de moelleuses bergères, de petits canapés disposés avec art et voisinant avec des guéridons où les livres s’élevaient en pile, invitaient aux causeries et révélaient les goûts de celle qui présidait à cet aménagement.

C’est là que l’on se tient quand la compagnie est nombreuse, mais bien souvent, lorsqu’on est entre intimes, on fait salon dans une pièce contiguë, plus familière et plus simple d’aspect : au coin du feu est un large fauteuil, dont le dossier se recourbe et couvre comme d’un toit la tête de l’occupant ; on reconnaît le célèbre « tonneau » cher à la maîtresse du logis ; auprès sont quelques sièges, une étagère-bibliothèque ; dans l’angle, une encoignure chargée de porcelaines ; au fond, une grande alcôve avec un lit couvert d’une perse à ramages ; sur le mur, un petit cartel marque la fuite des heures. C’est la chambre à coucher de Mme du Deffand[1]. Ajoutons une salle à manger, une antichambre, une petite pièce pour Mlle Devreux, la dévouée femme de chambre, haussée presque au rang d’une amie, une autre pièce pour Wiart, le factotum, majordome, secrétaire, lecteur à l’occasion. Telle est, dans son ensemble, la demeure, dont Mme du Deffand, comme elle le dit, ne sort « guère que pour souper, » et où va vivre à côté d’elle l’héroïne de notre récit. Toutefois cette dernière eut d’abord un logement séparé dans l’intérieur du monastère ; mais cet arrangement dura peu ; et, quelques mois plus tard, la marquise louait pour elle une chambre plus petite que la sienne, située à l’étage supérieur.

Nous connaissons le cadre ; considérons maintenant les principaux personnages du tableau. Tout d’abord, la reine de l’endroit : « une petite femme maigre, pâle, blanche[2], » la tête un peu trop forte pour l’exiguïté de sa taille, et gardant peu de traces de son ancienne beauté[3]. Au repos, sa physionomie a

  1. D’après une estampe de Cochin, intitulée : les Chats angora de Mme du Deffand.
  2. Mme de Genlis, Mémoires.
  3. « Ceux qui l’ont connue quand elle était jeune, dit Mlle de Lespinasse, se souviennent qu’elle avait le plus beau teint du monde, l’air assez noble, tous les mouvemens de son visage extrêmement agréables, la physionomie très animée et très spirituelle, des yeux d’aigle, vifs, perçans et parfaitement beaux… Les agrémens de sa figure n’étaient point déparés par la sécheresse de sa gorge et de ses mains, et les charmes de son esprit empêchaient presque qu’on ne s’aperçût du défaut qu’elle avait de parler du nez. » (Portrait de Mme du Deffand par Mlle de Lespinasse, cité par L. Pérey dans le Président Hénault et Mme du Deffand.).