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anglais qui paraît aujourd’hui en contrebande. Il y a des rues entières qui ont disparu ; des femmes bien mises venaient jeter du pétrole dans les caves ; le bas de la rue du Bac, des portions des rues de Lille, Saint-Dominique et de Grenelle sont tombées dans les flammes. J’attends avec impatience les journaux de demain pour avoir des nouvelles de la victoire finale. Les reporters anglais de cinq ou six grands journaux parcourent les rues et donnent des détails navrans.

Je veux essayer de détourner mon esprit ailleurs, en vous envoyant des détails sur ce que je vois de la vie anglaise ; on me comble toujours d’attentions.

Conversations chez M. Smith, professeur de mathématiques et à déjeuner chez M. Sackville Russell aujourd’hui ; hier avec M. Pattison, dean of Lincoln, professeur de philosophie.

Il y a un parti considérable et actif pour faire révoquer la loi sur les substitutions et le droit de l’aîné à tous les immeubles.

Beaucoup de gens trouvent dangereuse la concentration des terres en un petit nombre de mains. Les paysans ici sont bien plus malheureux que chez nous, tout à fait des brutes, qui travaillent par gangs[1]et soutenus par les poor-rates[2].

Quant aux work-houses, on n’en montre aux étrangers que le beau côté ; la tyrannie et les tracasseries y sont grandes ; c’est pour cela que les pauvres meurent de faim plutôt que d’y aller.

La convulsion qui vient de ruiner Paris peut se produire en Angleterre. M. Pattison dit qu’elle n’est pas à craindre d’ici à vingt ans, mais qu’elle arrivera certainement un jour ou l’autre. Aucune force militaire à Londres, rien que des policemen ; trois millions deux cent cinquante mille habitans, sur lesquels il y a bien deux cent mille roughs, vauriens, gens sans aveu, pauvres qui sentent le contraste de l’opulence environnante. Le sentiment des pauvres contre les riches et contre l’état social qui maintient leur misère, est très amer. Si les sauvages de Londres s’associaient, se liguaient par des affiliations secrètes, ils pourraient tenter un coup de main, être maîtres de la capitale pendant un mois, et alors on verrait un désastre comme celui de Paris.

  1. Troupes.
  2. Taxe des pauvres.