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lettres d’hippolyte taine.


A Madame H. Taine.
Oxford, 27 mai.

Je vous écris from the Union club, établissement très commode à Oxford, où l’on m’a introduit et où je trouve tous les journaux avec tout le confortable possible. Comme ils entendent bien la vie élégante et agréable, et quel bon ordre, quelle prospérité ! Cela fait le plus douloureux contraste avec notre pauvre pays. Je sais maintenant ce qui a été sauvé de Paris, à moins que les pompes à pétrole de Belleville n’allument de nouveaux incendies. La flamme et la destruction n’ont été qu’à dix minutes de chez nous, puisque la Cour des Comptes, la Légion d’honneur et la caserne du quai d’Orsay sont en cendres. Les journaux anglais parlent avec pitié et douleur de nos calamités ; mais ils sont sévères pour notre caractère et inquiets sur notre avenir. Ils voient dans cet incendie le désir de l’éclat, l’emphase naturelle du révolutionnaire, la volonté diabolique de finir comme au cinquième acte d’une féerie, au milieu de l’écroulement général. Ils disent qu’il y a un fond de férocité dans notre humeur, et que les derniers massacres à Paris montrent le singe qui devient tigre. Ils s’accordent à craindre pour l’avenir une Terreur blanche, un cléricalisme étroit et défiant, qui, en dix ans, rendra au parti révolutionnaire son crédit et sa force.

M. Max Müller est venu me voir ce matin, puis M. Jowett, master of Balliol college, savant libéral, assez voisin de Renan, qui a écrit sur Platon et sur saint Paul. Nous avons raisonné sur la nature et l’origine du langage, sur les méthodes de critique et de philosophie. Je dîne chez lui mercredi et aussi samedi, cette fois avec M. Mathew Arnold. En général, ils me parlent anglais, et je leur réponds en français. Le vice-chancellor a témoigné être très satisfait de ma leçon. Je viens de trouver dans la revue anglaise Nature un article très bienveillant sur l’Intelligence ; M. Max Müller dit que c’est la grande question du moment, que l’origine des idées et du langage est le point auquel s’attachent le plus en ce moment les curiosités anglaises.


A Madame H. Taine.
Oxford, dimanche 28 mai.

Ma pensée ne peut pas quitter Paris. J’ai acheté un journal