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lettres d’hippolyte taine.

J’ai rencontré ici un aimable homme, un philologue que j’avais vu à Paris, M. Brachet, qui a été le condisciple de Rossel, à la Flèche, et le peint comme extrêmement dangereux. Les avis venus de Versailles disent qu’on ne pourra guère voir l’ordre rétabli avant six semaines.

M. Vavin m’écrit de Versailles que les dépêches de M. Thiers sont sincères, que nos troupes tiennent bien, que la prise de Paris n’est qu’une affaire de temps. Autre lettre de M. Lameire, à Paris, disant que les cours de l’École des Beaux-Arts sont suspendus.


A sa mère.
Tours, 30 avril.

Je suis bien content que personne de notre famille ne soit plus à Paris ; c’est un pandémonium ; la mère d’une dame qui est ici, sortant de chez elle ces jours-ci en robe très simple, a été apostrophée dans la rue par une mégère : « A bas les aristocrates en toilette ; on vous mettra bientôt à bas. »

Il y en a bien encore pour un mois ; j’espère que nos troupes seront entrées d’ici là ; mais la résistance continuera dans l’intérieur de Paris, et que de ruines ! Je n’ai aucun renseignement précis, ni particulier, à vous envoyer ; les lettres de M. Libon sont toujours fort sombres. Ce qui est sûr, c’est que les troupes sont nombreuses et bien disposées (cent cinquante mille hommes environ), que les dépêches de M. Thiers sont à peu près vraies. Je ne pense pas que les insurgés aient plus de quarante mille hommes disposés à se battre. Les autres marchent par force ; mais leurs chefs sont des fanatiques, des étrangers cosmopolites, des coquins qui risquent tout pour faire la Jacquerie universelle. Le Français, le Gaulois, que tu lis, vous diront ce que je sais. Nous sommes un peu inquiets pour nos appartemens, que la Commune menace de faire occuper ; nous avons écrit par Libon à M. Lameire pour installer chez nous au besoin les ouvriers de mon beau-père. Mais il faut avant tout se préparer, se résigner, patienter.

J’ai préparé une bonne partie du cours d’Oxford ; la bibliothèque ici m’a été très utile. Néanmoins, ce n’est pas sans quelque appréhension que je vais professer en français devant des Anglais ; un auditoire inconnu et qui sait médiocrement la langue ne