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lettres d’hippolyte taine.


sailles, il m’a apporté un journal de ce matin même. Il est liquidateur de la liste civile et habite Versailles. Selon lui, nos troupes sont tout près de la porte Maillot : peut-être, aujourd’hui, la terrible canonnade de ce matin indiquait qu’on prenait le pont d’Asnières. Il pense que la semaine prochaine, peut-être avant dimanche, nous serons dans l’enceinte. Reste à savoir s’il ne faudra pas faire le siège de Belleville, Montmartre, etc., et recommencer les journées de Juin à l’intérieur. Ce qu’il y a d’horrible, c’est que des gens comme Elisée Reclus, de la Revue des Deux Mondes, sont parmi les insurgés. Reclus a été pris avec son frère. Delescluze, à Paris, est de fait dictateur. Les troubles de Limoges sont apaisés. — Je pense que la soumission de Paris n’est plus qu’une affaire de temps, — les troupes sont pleines d’entrain. M. Vavin, qui était au siège, dit qu’elles ne sont pas reconnaissables. On a du gros canon.

D’après les pièces de la liste civile, la princesse Mathilde est tout à fait intègre, elle refusait des présens, des vases de Sèvres, disant qu’elle ne voulait avoir chez elle aucun objet qu’elle n’eût payé de son argent. Le prince Napoléon payait ses employés et fournisseurs, mais il était tire-liard et accapareur comme un Italien.

Paris repris, il va y avoir une curée de places ; il est si désagréable d’y prendre part ! Combien je préfère la vie économe et indépendante !


A sa mère.
Tours, 17 avril.

Je suis arrivé à Tours, le 11 avril. Une occasion m’a conduit d’Orsay à Monthléry-Saint-Michel. J’espérais pouvoir m’installer avec ma famille à Châtenay, mais les obus pleuvent aux environs, à Fontenay, à Sceaux, à Robinson, et on a dû mettre là des troupes, pour empêcher les réquisitions des insurgés. Je suis donc chassé provisoirement de tous mes domiciles, à Paris et à la campagne. Tout le monde fuit Paris où l’on enrôle les gens de force, et où les bombes tombent dru. Voyez le Gaulois, le Soir, l’Officiel de Versailles, la Gazette de France ; ce sont les seuls journaux de Versailles. Les Débats et autres, à Paris, ont été supprimés.

J’ai fait ma dernière leçon le 3. Je crois que ce sera la fin du