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lettres d’hippolyte taine.


l’aider ; avec un cheval et un tombereau, ils vont transporter dehors tous les détritus. On me dit que tous ces détritus vont être employés dans les champs comme fumier, qu’il y a eu très peu de chevaux et d’hommes enterrés dans le pays. Châtenay se repeuple.


A Madame H. Taine.
Paris, jeudi 23 mars.

J’arrive à Paris et je vais retourner à Orsay… La ville peut être écrasée par les Prussiens qui, le 21, ont menacé officiellement de la traiter en ennemie. — Je viens de lire les journaux. L’émeute a tiré sur une manifestation inoffensive[1], place Vendôme, tué vingt-deux personnes. Elle prend des allures de Comité de salut public et va essayer de la Terreur.

Orsay, 24 mars.

Je suis allé hier à Paris pour tâcher d’avoir des lettres de vous. Orsay a quarante-huit heures de retard ; le service se fait par Palaiseau, Versailles, et par piétons.

C’est le désespoir dans l’âme qu’on lit les journaux en ce moment et qu’on voit Paris. Jamais décomposition sociale n’a été si manifeste. La majeure partie des gardes nationaux est, je crois, pour l’Assemblée ; mais autour de quel centre peuvent-ils se réunir ? Il y a peut-être cinquante mille casse-cous, socialistes, terroristes, gens sans aveu, déclassés de tous genres à trente sous par jour, soldats enrôlés à quarante sous avec la promesse d’un grade, etc. Le sang a coulé, il coulera encore. Personne ne voit une issue ; peut-être la meilleure serait un décret de l’Assemblée convoquant les électeurs de Paris pour élire la commission municipale, et les convoquant très vite, car les émeutiers de l’Hôtel de Ville les convoquent pour dimanche. Le centre de Paris (Banque, Bourse, Saint-Germain-l’Auxerrois) est occupé par les bataillons honnêtes, qui défendent leurs mairies et empêchent les insurgés de s’en emparer. Mais ils sont en moindre nombre, et peuvent être enlevés d’un moment à l’autre. — Lullier le fou est nommé commandant général de la garde nationale. Un tel

  1. Le 23 mars.