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Pendant la nuit d’hier à l’Hôtel de Ville, m’expliquent très bien pourquoi le gouvernement de la Défense nationale n’a pas fait arrêter les fauteurs de l’insurrection, lorsqu’il s’est enfin trouvé le plus fort ; pourquoi Trochu tenait, après sa délivrance, le langage qui m’a tant choqué, et pourquoi ces messieurs étaient encore si indécis et si mous ce matin. La vérité est qu’Étienne Arago et les vingt maires de Paris, réunis à l’Hôtel de Ville, MM. Dorian, Rochefort et bien d’autres, ont plus ou moins pactisé avec les hommes qui demandaient des élections immédiates pour la municipalité de Paris. Le général Trochu, une fois délivré par les bataillons de la garde nationale, n’a plus songé qu’à libérer également et sans coup férir les autres membres du gouvernement restés au pouvoir des émeutiers. D’un côté, les mobiles bretons, qui avaient pénétré par un souterrain dans l’Hôtel de Ville, menaçaient de faire usage de leurs armes contre les émeutiers ; ils étaient appuyés au dehors par de nombreux bataillons de la garde nationale de Paris, qui occupaient la place, ayant M. J. Ferry à leur tête, tandis que dans d’autres pièces de l’Hôtel de Ville, les tirailleurs de Flourens gardaient encore prisonniers MM. Jules Favre, Simon, Tamisier et Leflô. Alors on est entré en pourparlers et l’on a transigé ! M. Ferry a promis de laisser MM. Flourens, Blanqui, Pyat et consorts sortir sains et saufs de l’Hôtel de Ville, à la condition que les tirailleurs de Flourens relâcheraient de leur côté MM. Jules Favre, Simon, Tamisier et Leflô. Je trouve cela naturel. Évidemment, il valait beaucoup mieux préserver la vie de ces messieurs que de s’assurer de quelques misérables sur lesquels on pourra toujours remettre la main, le jour où l’on en aura le courage ; mais il eût été plus franc et plus digne d’avouer ingénument ce compromis, que de nous faire, comme le général Trochu, de belles phrases sur l’innocence et le patriotisme des misérables qui se sont, à ce moment, emparés de l’Hôtel de Ville. À ce jeu-là, on ne trompe personne et l’on se discrédite. Il y a, je le crains, du Lamartine dans M. Trochu, et ces messieurs de la République de 1870 me semblent reprendre à peu près les erremens de leurs prédécesseurs de 1848 ; ils se laissent, à grand’peine, sauver par les hommes d’ordre ; puis, une fois sauvés, ils ne songent plus qu’à rentrer en grâce avec les exaltés du parti, et à leur sacrifier, pour cela, ceux-là mêmes qui les ont tirés du péril. La préoccupation principale des membres du gouvernement de la Défense