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précis. Il y avait au Cercle MM. de Witt et Pougny. Nous prenons une voiture pour aller aux renseignemens, en nous faisant conduire par les anciens boulevards et le boulevard de Sébastopol, à la place de l’Hôtel-de-Ville. Il fait assez mauvais temps ; il pleut même par momens ; il y a beaucoup de foule partout sur les trottoirs. Des bataillons de garde nationale et de gardes mobiles se croisent en sens contraire sur le boulevard de Sébastopol. Les gardes nationaux, qui portent la crosse en l’air, paraissent retourner dans leurs quartiers, et crient à tue-tête : « Vivent les mobiles ! » Les mobiles ne répondent rien. On entend chanter la Marseillaise, et puis de temps en temps des cris de : « Vive la Commune ! » ou bien : « La levée en masse ! » Près de l’Hôtel de Ville, on ne peut plus avancer. Nous descendons de voiture. Les personnes auxquelles nous nous adressons nous donnent les renseignemens les plus contradictoires ; les uns nous disent : « Ce n’est rien qu’une manifestation ; » les autres nous affirment qu’on a proclamé un « autre gouvernement. » Nous arrivons sur la place elle-même. La nuit est tout à fait tombée. Nous nous faufilons assez aisément parmi les lignes de la garde nationale. Nous arrivons jusqu’assez près de la grande porte. La difficulté n’est pas de circuler ; elle est plutôt de savoir quel sentiment anime la foule au milieu de laquelle nous nous trouvons. Toutes les portes de l’Hôtel de Ville sont fermées. On nous dit que les membres du gouvernement de la Défense nationale ont donné leur démission (nous avons su plus tard seulement qu’il n’en était rien), et que MM. Flourens, Blanqui, Pyat et Cie, ont été nommés à leur place. Nul enthousiasme, nulle réprobation non plus. Notre étonnement est au comble. Nous remontons la rue de Rivoli. Nous y croisons des bataillons de garde nationale qui vont à l’Hôtel de Ville. Il est cinq heures ou six heures. Impossible, à cause de l’obscurité, de voir les numéros desdits bataillons, ce qui, d’ailleurs, n’aurait pas suffi à m’indiquer dans quelle intention ils se rendent à l’Hôtel de Ville ; ces bataillons ne poussent aucun cri, et ne se livrent à aucune manifestation. La foule compacte qu’ils traversent est également muette. Nous sommes conduits à penser, MM. de Witt, Pougny et moi, que le gouvernement cède le pouvoir. Nous avons tous trois l’impression qu’il n’y a aucune passion révolutionnaire parmi cette masse de peuple, et que, si l’on avait fait appel aux honnêtes gens, il eût été très facile de résister à l’établissement d’une Commune