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bonnes dispositions. Personne ne pensera qu’il ait voulu seulement nous donner le change. L’autre manifestation est tout oratoire, c’est le discours de Brème. L’Empereur aime à parler parce qu’il par le bien ; aussi lui arrive-t-il souvent de prononcer des discours qui sont toujours éloquens ; mais celui de Brème a, par son développement même et par son caractère un peu mystique, un intérêt particulier. Le sentiment qui y domine est celui d’une confiance sans bornes dans la mission historique du peuple allemand. Que cette mission soit supérieure à toutes les autres, comment pourrait-on en douter ? « Notre Seigneur Dieu, a dit l’Empereur, ne se serait pas donné tant de peine pour notre patrie allemande et son peuple, s’il ne nous avait destinés à de grandes choses. Nous sommes le sel de la terre ; mais aussi nous devons nous montrer dignes de l’être. » Sans nous arrêter à la forme que l’empereur Guillaume a donnée à sa pensée, on peut se rappeler que d’autres peuples et d’autres souverains ont éprouvé le même sentiment et l’ont exprimé à leur manière. Napoléon n’appelait-il pas la France « la grande nation, » et n’exaltait-il pas son orgueil pour l’entraîner avec lui dans d’héroïques aventures ? Il y a cependant une différence, et elle est importante : Guillaume II répudie toute intention belliqueuse. Napoléon ne laissait pas un moment ses voisins tranquilles ; Guillaume II s’efforce le plus souvent de tranquilliser les siens. Sans doute, il ne se propose rien de moins que l’empire universel ; mais, dit-il, « l’empire universel, tel que je l’ai rêvé, doit consister, avant tout, en ceci que l’empire allemand, nouvellement fondé, doit jouir de la plus absolue confiance de tous comme un voisin tranquille, loyal et pacifique ; et si un jour, peut-être, on devait parler dans l’histoire d’un empire universel allemand, ou d’un empire universel des Hohenzollern, il n’aurait pas été fondé sur des conquêtes par l’épée, mais sur la confiance mutuelle des nations aspirant aux mêmes buts. En un mot, comme l’a dit un grand poète : « Limité au dehors, infini au dedans ! » Il n’est peut-être pas très facile de concilier ces aspirations infinies avec des moyens d’action très limités ; mais l’empereur Guillaume nous a habitués à ces manières de parler. Son discours de Brème a été universellement interprété dans un sens rassurant, la note pacifique y ayant été dominante. Après avoir prononcé ce discours, l’Empereur est parti pour Tanger.

S’il y a un rapport entre le discours et le voyage, il est permis de croire que l’empereur Guillaume, rêvant, comme il le dit, l’empire universel, y comprend le Maroc ; mais qu’il se propose d’en faire la