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droite, M. Groussau, a parlé en juriste, mais en juriste qui a le sentiment des nécessités politiques, contre le principe même du projet de loi. M. Boni de Castellane a dénoncé les intentions des séparatistes : ils ne veulent pas, a-t-il affirmé, séparer l’Église de l’État, mais la détruire. Si c’est bien l’intention d’un certain nombre d’entre eux, on ne peut pourtant pas dire que ce soit celle de tous : malheureusement nous ne sommes pas sûr que les premiers ne soient pas les plus forts et n’entraînent pas les autres, comme cela est arrivé si souvent. M. Barthou, partisan de la séparation, a mis de la force et de l’ironie dans la critique qu’il a faite du projet de la commission. Enfin, parmi les adversaires du projet, il faut placer M. Charles Benoist, au discours duquel nous avons déjà fait plus d’un emprunt. M. Benoist connaît admirablement l’histoire [politique, ce qui lui permet de comparer, de juger, de prévoir. Il juge que nous ne sommes pas faits pour la séparation, et il prévoit que, si nous détruisons notre Concordat, nous serons obligés dans quelques années d’en négocier un autre. « Avant dix ans, a-t-il conclu, je ne dis pas que vous serez allés à Canossa : le chemin de fer n’y passe pas ; mais tout chemin mène à Rome et j’ose prédire que vous y retournerez. » La prédiction de M. Charles Benoist a les plus grandes chances de se réaliser. Nous nous demandons seulement si l’auteur d’un futur Concordat fera mieux que Bonaparte : peut-être fera-t-il moins bien.


Il nous est impossible de dire dès aujourd’hui quelle est ou quelle sera la portée du voyage de l’empereur d’Allemagne à Tanger. Peut-être l’a-t-on exagérée. Peut-être ne résultera-t-il pas de ce voyage toutes les conséquences qu’on en espère d’un côté ou qu’on en craint de l’autre. L’empereur Guillaume aime à étonner le monde ; il aime aussi à le rassurer, et il vient de céder presque à la fois à ce double penchant. Quelles que soient les vues dans lesquelles il est allé à Tanger, il ne s’est certainement pas dissimulé que son voyage ferait grand bruit, et qu’on le considérerait partout comme une démarche peu obligeante pour la France. Cela ne l’a pas retenu : mais, avant de quitter l’Allemagne, il s’est livré à deux manifestations d’un tout autre caractère.

Il est allé dîner à l’ambassade de France à Berlin. C’est peu de chose assurément, et un dîner ne prouve rien. Toutefois, comme l’Empereur avait dîné dans les autres ambassades et que, depuis assez longtemps, il ne s’en était abstenu que dans la nôtre, il faut bien croire qu’il a trouvé opportun de nous donner une marque de ses