Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nos mœurs, en effet, sont loin d’être libérales : ce qui s’est passé dans ces dernières années nous en a donné des preuves nouvelles et très nombreuses. Le ministère Waldeck-Rousseau, et encore plus le ministère Combes, nous ont montré l’État visant à la toute-puissance sur l’Église, ou plutôt à la suppression de l’Église en tant que gouvernement, de sorte que le dernier terme logique de l’évolution à laquelle nous assistons serait une nouvelle tentative de constitution civile du clergé. Tout le monde désavoue cette conséquence, mais beaucoup de gens la préparent. Certains séparatistes, soit qu’ils aient plus de franchise que les autres, soit seulement qu’ils se connaissent mieux, commencent à dire qu’il faut être très modéré pour commencer, afin de n’effaroucher personne, et qu’on verra après. Bien des choses, en effet, sont remises à plus tard. A supposer que la séparation se fasse, nul ne peut dire comment elle se fera, ni quelles en seront les suites. Si l’Église dépérit et périclite sous la loi future, peut-être respectera-t-on son agonie. Si, au contraire, elle apparaît plus forte, ingénieuse à trouver des ressources et vigoureuse à les mettre en œuvre, les séparatistes d’aujourd’hui, s’apercevant qu’ils ont manqué leur but, chercheront et trouveront vite les moyens de remettre la main sur elle. A une légalité, celle qu’on est en train de faire en ce moment, une autre succédera. Un contrat avec le Saint-Siège, un traité, mettait un empêchement à ces fantaisies successives : on ne voit pas, dans le régime de demain, quelle puissance indépendante pourrait y faire obstacle. Dès lors, on légiférera sur l’Église comme sur autre chose et plus que sur autre chose : l’intérêt de l’ordre public servira toujours de prétexte. Les lois du Concordat, c’est ainsi qu’on les appelle, se composent aujourd’hui d’une convention diplomatique et des articles organiques, qui sont des lois de police. On aura supprimé la première, mais on conservera soigneusement, ou on restaurera les seconds : ils seront toute la législation des cultes.

Les exemples tirés de l’étranger ne peuvent pas nous servir d’indication utile, parce que ce que nous faisons, ou du moins ce qu’on nous propose de faire, est sans précédent. On chercherait en vain des analogies entre le projet soumis à la Chambre et ce qui se passe hors de France, soit, en Europe, soit en Amérique. M. Briand a consacré aux législations étrangères une partie de son rapport qui est très suggestive : on y trouve la preuve éclatante de ce que nous avançons. Dans tous les pays de la vieille Europe, l’État alloue des traitemens aux ministres du culte, à moins que l’Église ne possède depuis longtemps