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guerre franco-allemande les faits qu’il relate[1], un écrivain distingué qui, — bien des années auparavant, avait publié la première traduction des calmes Entretiens de Goethe philosophant avec Eckermann, — a retracé, notées au jour le jour, les douloureuses péripéties de cette longue occupation de Versailles par l’état-major général prussien, du 19 septembre 1870 au 12 mars 1871. L’on y voit, peints à la lumière des incidens de leur vie quotidienne, les chefs de cette armée, à la fois si disciplinée et si brutale, que Blücher et ses successeurs avaient mis plus d’un demi-siècle à transformer en un puissant instrument d’invasion. L’on y mesure les effets de la haine, attisée, comme à plaisir, « chez ces paysans si lourds conduits par des nobles si durs, » et aussi la puissance « du souffle de sauvagerie poméranienne, » qui passa tout à coup sur la France et sur l’Europe, au lendemain de l’éblouissant mirage de l’Exposition universelle de 1867.

Dans ce Versailles désolé, pressuré, à tout instant menacé d’exécution militaire, mais dont le maire Rameau, comme ses prédécesseurs, Richaud en 1792 et le chevalier de Jouvencel en 1815, opposa aux plus rudes épreuves une invincible fermeté, combien de maisons reçurent alors une empreinte tristement historique ! Entre toutes, à l’extrémité de la ville, dans une rue isolée, surveillée nuit et jour par la police prussienne, il en est une qui, pendant ces longs mois, vit à l’œuvre Bismarck, dans la pleine activité de sa puissance et de son dur génie. C’est là que Thiers, au retour de son voyage à travers l’Europe pendant le froid et lugubre hiver de 1870, vint faire des ouvertures de paix, dont le succès eût épargné à notre pays un surcroît de sacrifices. Là aussi Jules Favre signa l’armistice, la capitulation de Paris, les préliminaires de la paix. Le théâtre de toutes ces négociations, de toutes ces tortures, fut le salon de cet hôtel de la rue de Provence, dont le chancelier demanda en vain à la propriétaire d’acheter la pendule, surmontée d’un démon, qui avait, pour la France, sonné des heures si cruelles. Dans cette maison, plus encore que dans la jolie habitation Louis XV du boulevard de la Reine où Moltke combinait ses plans de bataille, plus encore qu’en ce palais de la Préfecture, devenu la résidence du Roi, et devant lequel la garde montante paradait chaque jour comme

  1. Emile Délerot : Versailles pendant l’occupation.