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après, envahies par les septembriseurs, les rues de Versailles étaient le théâtre de l’un des plus sinistres drames de la Révolution. Du moins, ce jour-là, vit-on le maire de Versailles, Hyacinthe Richaud, obéissant au noble sentiment qui, un peu plus tard, devait illustrer le nom de son concitoyen, Lazare Hoche, le futur pacificateur de la Vendée, exposer sa vie afin d’empêcher ce crime odieux. Revêtu de son écharpe, Richaud, pour détourner de ces malheureux les sabres et les piques qui les menaçaient, se précipita sur le chariot où étaient entassés les principaux prisonniers qui, espérant échapper à la mort, s’attachaient à son habit avec désespoir. On l’entendit s’écrier : « Quoi ! vous devez être les défenseurs de la loi, et vous voulez vous déshonorer ! Ce ne sont pas ces prisonniers qui m’intéressent le plus, c’est vous, c’est votre honneur ! » Ses efforts furent vains ; quarante-sept prisonniers de tout ordre et de tout rang furent égorgés, et, parmi eux, de Lessart, ancien ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères, l’évêque de Mende, le duc de Brissac, ancien commandant en chef de la garde constitutionnelle du Roi, dont la tête fut, dit-on, portée jusqu’à Louveciennes pour être jetée dans le château de son amie, Mme du Barry, qui avait tenté de le faire délivrer. A un de ces forcenés on entendit dire : « Nous avons eu bien du plaisir au massacre des seigneurs, je les ai bien arrangés ; j’ai frappé à droite et à gauche, et quand il n’y aurait eu que moi, Monsieur le Duc n’en serait pas revenu. Je lui ai enfoncé une pique dans le corps, de la longueur d’un pied, et c’est moi qui ai porté sa tête au bout d’une fourche. »

L’émotion cruelle causée par ces scènes horribles durait encore à Versailles, lorsque fut posée, plus urgente et menaçante que jamais, la question de la destruction du château et des admirables jardins, qui, aux yeux de ses habitans, dont le nombre avait, depuis le départ de la Cour, diminué de moitié, semblait avec raison, pour l’ancienne cité royale, une question de vie ou de mort. A maintes reprises, en mémoire du serment prêté au Jeu de Paume, sur les murs duquel, aujourd’hui encore, on peut lire le texte de leurs délibérations, les assemblées, qui s’étaient succédé depuis 1789, avaient décrété que « Versailles avait bien mérité de la patrie. » On conçoit la douloureuse surprise dont la ville tout entière fut saisie à la lecture d’une série de décrets qui ne visaient à rien moins qu’à lui enlever jusqu’à sa raison d’être.