Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simple développement des échanges que nous assisterions. Au point de vue économique comme au point de vue politique, c’est une rude lutte que l’Européen aurait à soutenir contre la dextérité, l’incessant travail, le sens commercial du Chinois, animé par l’esprit d’organisation du Japonais. Malgré tout, la transformation devrait être moins rapide dans l’Empire du Milieu que dans celui du Soleil Levant. Heureusement pour l’Europe, la Chine diffère profondément du Japon par toute son évolution historique, par l’origine même de son peuple, comme l’atteste l’abîme qui sépare les deux langues. C’est ce qu’il ne faut jamais oublier lorsqu’on envisage les perspectives qui s’ouvrent en Extrême-Orient. Celles-ci n’en sont pas moins fort préoccupantes. L’homme blanc, qui pensait pouvoir tout régenter, qui voyait dans toutes les nations les vassales de sa puissance et les tributaires de son industrie, doit se convaincre aujourd’hui qu’il n’est plus seul au monde. Maîtres incontestés du globe, ceux de notre race croyaient pouvoir s’abandonner à leurs fantaisies, poursuivre, au milieu de luttes intestines, de chimériques utopies, remplacer même le culte de l’énergie qui [avait fait la force de leurs ancêtres par un idéal d’amollissement. Obligés de compter avec d’autres, il faut qu’ils comprennent que l’heure n’est plus à de pareils songes, mais que le moment est venu de se ceindre les reins. C’est de l’imprudence ou de la sagesse des blancs qu’il dépendra que le péril jaune devienne ou non une réalité.


PIERRE LEROY-BEAULIEU.