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locale se destinait aux écoles militaires, à l’École Polytechnique et à Saint-Cyr. L’École d’Application du génie et de l’artillerie, les régimens de ces deux armes spéciales tenaient dans la ville le haut du pavé. Il n’y avait guère de famille qui n’eût un fils, un gendre, un parent sous les drapeaux. Aussi les bourgeois vivaient-ils en bonne harmonie avec les soldats, sauf dans les circonstances très rares où ceux-ci, à la suite de quelques libations, troublaient le calme des rues par un tapage nocturne. Seulement, tandis que les officiers se consacraient exclusivement à leurs devoirs militaires, sans vouloir connaître de la France autre chose que son armée, les civils regardaient du côté du Parlement et s’intéressaient à la politique.

Il y avait parmi eux trois partis très tranchés. Un groupe peu nombreux, mais compact, composé de quelques gentilshommes authentiques, de nobles qui s’étaient anoblis eux-mêmes, et de bourgeois flattés de faire figure à côté de la noblesse, restait fidèle aux idées de la Restauration et de l’ancien régime. Ils traitaient le roi Louis-Philippe d’usurpateur et boudaient le monde officiel. A l’autre extrémité, un petit nombre d’hommes résolus souhaitaient et annonçaient le triomphe de la République. Dans le milieu, les gros bataillons des propriétaires, des industriels, des commerçans, des gens paisibles s’accommodaient à merveille du suffrage restreint et de la monarchie bourgeoise. La physionomie du roi Louis-Philippe n’était pas faite pour inspirer l’enthousiasme, mais elle plaisait par sa bonhomie, surtout elle rassurait les intérêts. D’ailleurs les princes ses fils, qui tous portaient l’uniforme, particulièrement le Duc d’Orléans, ne laissaient échapper aucune occasion de passer en revue les régimens de Metz, ou de prendre part à leurs manœuvres. La popularité qui les entourait rejaillissait dans une certaine mesure sur le gouvernement de leur père.

Au fond, la population messine était heureuse, active, appliquée au travail, contente du présent, sans inquiétudes pour l’avenir. Les ouvriers de métier gagnaient largement leur vie, la petite bourgeoisie et le petit commerce vivaient de l’armée, les propriétaires du revenu de leurs maisons louées en partie à des officiers. L’élément militaire jeune, aimable, brillant, donnait aux réunions de la société un caractère permanent de bonne grâce et de gaieté. Excepté quelques esprits boudeurs ou avancés, personne ne désirait de changement. Aussi la