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obstacles sont particulièrement nombreux en Chine. Il y existe bien de grands chemins impériaux, mais, sauf aux abords immédiats des ports ouverts, il n’y a pas de routes dignes de ce nom. Dans la banlieue de quelques grandes villes, on trouve sur les chemins des restes de pavage, en très mauvais état généralement, car les énormes pavés ne sont jamais remplacés, et comme ils datent souvent de plusieurs siècles et que le sous-sol dans les plaines n’est guère solide, ils sont complètement disjoints. Aussi est-il peu de supplices plus abominables qu’un trajet en certains pays des environs de Pékin en charrette chinoise, où l’on ne peut ni s’asseoir ni s’allonger, la bâche étant trop basse pour l’un et la caisse trop courte pour l’autre, et où l’on est jeté sans cesse contre le cadre en bois de la voiture. Mieux vaut encore suivre les simples pistes qui constituent les routes partout ailleurs, bien qu’en plaine ce soient alternativement des mers de boue et de poussière, et en montagne des escaliers escarpés. Les ponts sur les rivières ne manquent pas, car leur construction est considérée comme un acte de vertu ; sur les cours d’eau trop larges, ils sont remplacés par des bacs. Les moyens de transports sont très variés dans le Nord, où le voisinage des pâtis de Mongolie et de Mandchourie permet l’emploi des bêtes de somme et où les charrettes, les chaises à mule et à porteurs, les brouettes, les porteurs de paniers, les chevaux, les ânes, voire les chameaux, forment à l’entrée des villes la plus pittoresque confusion. Dans le Centre et le Sud, on ne connaît plus que la brouette et le porteur pour les marchandises ; les gens vont en chaise ou à pied, à moins qu’ils ne se fassent eux-mêmes voiturer en brouette, ce qui est habituel aux Chinois.

De pareils transports sont naturellement lents, peu sûrs et chers. La lenteur est encore le moindre inconvénient, quoiqu’une brouette ne fasse guère plus de 25 kilomètres par jour ; mais l’affreux état des routes, les accidens, les embourbemens constans rendent fort incertaine l’arrivée à destination de toutes les marchandises qui craignent les chocs ou l’humidité. Enfin le coût moyen est évalué à 290 sapèques (80 centimes environ) par picul et par 100 li[1]. Un picul équivalant à 60 kilos et un li à

  1. Cette moyenne est donnée par M. T. R. Jernigan, ancien consul général des États-Unis à Shanghaï, dans son intéressant ouvrage : China’s Business Methods and Policy, publié à Londres chez Fisher Unwin en 1904. Il est intéressant de connaître, d’après le même auteur, les quelques prix suivans : » En Chine centrale, les porteurs de chaise reçoivent 360 sapèques (1 franc) par jour chacun ; dans les provinces du Sud deux fois autant. Un âne avec un boy coûte 250 sapèques (70 centimes) par jour sans nourriture. Un cheval ou une mule 300 à 400 sapèques (85 centimes à 1 fr. 10). Une brouette — qui ne fera pas plus d’une trentaine de kilomètres par jour — 400 sapèques (1 fr. 10) pour un voyageur et son bagage. En jonque, chaque voyageur paiera 120 sapèques (0 fr. 35) par jour, pour un parcours moyen de 50 kilomètres ; sur les grandes jonques, on arrivera à 50 centimes s’il n’y a pas concurrence avec les vapeurs, et à 40 s’il y a concurrence. Les vapeurs eux-mêmes font actuellement payer aux indigènes 2 fr. 60 pour 100 milles, et aux étrangers environ dix fois plus.
    « Pour les marchandises, un âne portera 60 à 90 kilos à raison de 60 à 85 centimes par jour, nourriture en plus pour l’animal et le conducteur (un seul suffit pour plusieurs ânes). Un cheval ou mulet porte 110 à 140 kilos pour 1 franc à 1 fr. 40 par jour. Une brouette, 110 à 180 kilos au prix de 85 centimes à 1 fr. 40 en faisant 25 kilomètres dans sa journée. Par eau, la location d’un bateau susceptible de porter 100 piculs ou 6 000 kilos coûte 1 fr. 70 par jour, celle d’un grand bateau d’une capacité de 18 000 kilos de 3 fr. à 4 fr. 50. »