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aussi longtemps qu’une nation reste obstinément fidèle à des méthodes industrielles surannées, qu’elle refuse de mettre en valeur elle-même ou de laisser exploiter par d’autres une grande partie de ses richesses naturelles, qu’elle n’améliore pas des voies de communication, dont l’insuffisance, jointe à des obstacles administratifs variés, rend le transport des marchandises démesurément cher et parfois impossible en dehors d’un très faible rayon, il est clair que les échanges avec l’étranger doivent rester médiocres, ne porter que sur un petit excédent de denrées produites dans une zone restreinte ou sur quelques articles de luxe, et qu’il n’en saurait résulter une modification sérieuse de la vie, de la richesse, et de la puissance du pays.

Telle était la condition de la Chine jusqu’au traité de Shimonosaki. Les étrangers n’avaient pas le droit d’y établir des industries, ou, du moins, de vendre aux indigènes les produits de ces industries. On avait bien tenté, il est vrai, de tourner la difficulté en se servant de prête-noms chinois pour installer des manufactures ; l’on avait pu fonder ainsi à Shanghaï une ou deux fabriques de cotonnades ; mais leur situation légale était bien précaire et, si de pareils établissemens s’étaient multipliés, le gouvernement chinois aurait pris des mesures pour les proscrire. Il avait prouvé son opposition à tout progrès en faisant arracher en 1877 les 20 kilomètres de rails du petit chemin de fer que les étrangers avaient construit l’année précédente, avec la tolérance des autorités locales, entre Shanghaï et Woosung sur le Yang-tzé. Il ne se donnait l’air d’étudier sérieusement, depuis 1889, la ligne de Pékin à Han-kéou que pour jeter de la poudre aux yeux. De toutes les innovations occidentales, il n’avait accepté que le télégraphe, parce qu’il en avait apprécié l’utilité politique. Il possédait aussi quelques arsenaux : la guerre avec le Japon devait montrer ce qu’ils valaient. Si, par extraordinaire, quelque commerçant ou industriel chinois s’avisait de vouloir introduire un progrès inspiré des méthodes étrangères, on l’en décourageait aussitôt. La légion des collecteurs de taxes s’abattait sur le novateur, accablait ses installations et ses produits de droits de toute sorte ; si ce n’était assez, la populace, souvent excitée en secret par les lettrés et les mandarins, se soulevait contre lui, ou bien encore on le mettait purement et simplement en demeure de rejeter des inventions diaboliques qui mécontentaient les âmes des ancêtres, troublaient les esprits