lui peignit les défauts de son caractère, ses exigences, ses brusques sautes d’humeur, et l’irrémédiable méfiance qui lui rendait odieux tous ceux en qui elle croyait voir un soupçon d’artifice, voire de simple « finesse. » Julie écoutait, attentive ; une espèce d’inquiétude, peut-être de pressentiment, s’éveillait dans son âme et combattait l’attrait qui l’avait entraînée d’abord.
Le cardinal de Tencin, depuis peu archevêque de Lyon et lié de date ancienne avec la marquise du Deffand, arriva certain jour au cours d’une de ces conférences. Il remarqua Julie, interrogea la marquise sur son compte ; ce qu’elle lui dit accrut son intérêt ; il promit à Julie l’appui de sa haute protection, dont le premier effet fut d’obtenir pour elle « une chambre particulière » dans l’intérieur de son couvent. Dans une seconde visite, le cardinal remit la conversation sur cette séduisante personne : « Il me dit le premier, rapporte Mme du Deffand, que je devrais me l’attacher et que, dans le malheur dont j’étais menacée[1], elle me serait utile et nécessaire, que mes parens et M. d’Albon devraient le désirer eux-mêmes, parce que c’était le plus sûr moyen de s’assurer d’elle. Nous pesâmes tous les inconvéniens qu’il pourrait y avoir, et nous n’en vîmes aucun qu’il ne lût aisé de prévenir et de détruire. » Ainsi encouragée, quand, vers le 15 avril, Mme du Deffand quitta Lyon, sa décision, pour sa part, était prise. Il n’en était pas de même pour Julie ; elle demanda du temps pour réfléchir, et la séparation eut lieu sans qu’il fût conclu d’engagement.
Plusieurs mois s’écoulèrent dans cette expectative, l’une demeurant enfouie, au fond de son couvent, l’autre se partageant entre Mâcon et Champrond, et prenant en égal dégoût l’un et l’autre séjour. Ses amis la pressaient de regagner Paris, et s’évertuaient à faire briller les plaisirs qui l’y attendaient : « Pourquoi craignez-vous de vous retrouver chez vous ? Avec votre esprit et votre revenu, pourrez-vous y manquer de connaissances ? Je ne vous parle pas d’amis, car je sais combien cette denrée-là est rare, mais je vous parle de connaissances agréables. Avec un bon souper on a qui on veut, et, si on le juge à propos, on se moque encore après de ses convives. » Ainsi parlait d’Alembert, sans que cette alléchante peinture suffît à la déterminer. Le supplice secret de sa vie, la solitude morale,
- ↑ La cécité, qui faisait chaque jour des progrès.