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« En tout, écrira plus tard à Julie le président Hénault, vous n’êtes pas une personne comme une autre. » Cette dissemblance avec son siècle est assurément pour beaucoup dans la sympathie qu’elle inspire à Mme du Deffand. Pourquoi ne serait-ce pas la compagne rêvée, celle qui saurait comprendre sa misère et réchauffer son cœur ? Dans une existence vide, inutile et sans but, n’apporterait-elle pas une espérance d’avenir, quelque chose de cet intérêt que les femmes puisent dans la maternité ? Il est certain que ces pensées traversèrent la cervelle de Mme du Deffand et qu’une vague idée d’adoption germa dans son esprit. Les circonstances étaient propices ; Julie, nous le savons, passait à ce moment par une crise douloureuse, dont la marquise était la confidente : « Elle me dit, écrit cette dernière, qu’il ne lui était plus possible de rester avec M. et Mme de Vichy, qu’elle en éprouvait depuis longtemps les traitemens les plus durs et les plus humilians, que sa patience était à bout, qu’il y avait plus d’un an qu’elle avait déclaré à Mme de Vichy qu’elle voulait se retirer, qu’elle avait consenti à différer encore de quelques mois pour lui donner une marque de déférence, mais qu’elle ne pouvait plus soutenir les scènes qu’on lui faisait tous les jours… » En conséquence, ajoutait la jeune fille, elle était décidée à chercher un refuge dans un couvent de Lyon, non pas comme religieuse, — sa vocation, réflexion faite, lui semblant trop douteuse, — mais comme pensionnaire libre, pour y jouir à la fois du bienfait de l’indépendance et des avantages de décence attachés à ce pieux asile. Aux cent écus de rente qu’elle tenait de sa mère, Camille d’Albon joindra la pension nécessaire ; elle n’a sur ce point aucun doute.

Mme du Deffand assure qu’elle combattit tout d’abord ce projet, qui rencontrait chez son frère et chez sa belle-sœur une vive opposition. Gaspard de Vichy, pour son compte, prétendait bien « qu’il ne s’en souciait guère ; » mais sa femme, disait-il, était extrêmement affligée, et il souhaitait lui épargner cette peine. Tous deux d’ailleurs craignaient les commentaires que ce brusque départ exciterait dans le voisinage. Sur leur demande, la marquise consentit à jouer près de Julie le rôle d’ambassadeur. Elle lui montra la monotonie des journées qu’elle coulerait dans son monastère, l’ennui de vivre dans une ville « où de certaines choses fort désagréables pour elle étaient de notoriété publique, » le dénuement qui l’attendrait, dans le cas