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d’exalter ma sensibilité ; je connaissais la terreur et l’effroi avant que d’avoir pu penser et juger ! »

Au mois d’août 1746, Mme d’Albon, sentant ses forces s’épuiser, mandait son notaire à Avauges et rédigeait son testament. La clause relative à Julie est conçue en ces termes[1] : « Je lègue à Julie-Jeanne-Eléonore Lespinasse, fille de Claude Lespinasse et de Julie Navarre, une pension annuelle et viagère de trois cents livres, payable en deux termes égaux de cent cinquante livres chacun, tous les six mois, à commencer à mon décès et par avance, laquelle pension sera employée pour la nourriture, entretien et éducation de ladite Lespinasse dans un couvent à son choix, jusqu’à son établissement, mariage ou entrée en religion, auxquels cas je veux que mon héritier paye la somme de 6 000 livres pour la dot en religion, mariage ou établissement de ladite Lespinasse, laquelle somme je reconnais m’avoir été confiée pour ladite Lespinasse, à laquelle sera constituée ladite pension de trois cents livres tant qu’elle sera dans le monde, et demeurera réduite à deux cents livres, si elle fait profession dans quelque maison religieuse… Telle étant ma volonté, déclarant que je décharge mon héritier du paiement de ladite somme de 6 000 livres en cas que ladite Lespinasse se marie ou fasse profession pendant ma vie, attendu que pour lors j’acquitterai moi-même ladite somme de 6 000 livres, mon héritier, audit cas, ne demeurant chargé que de la pension[2]… »

La somme et la pension léguées par la comtesse d’Albon pourraient sembler modiques et peu proportionnées au chiffre de sa fortune, qui, bien que déjà diminuée, demeurait encore importante. La chose pourtant s’explique, si l’on songe que le testament était fait en forme authentique, c’est-à-dire par-devant témoins, et que Mme d’Albon, dans un acte public, ne pouvait guère traiter sa fille que comme une étrangère. Elle prétendit d’ailleurs corriger cette insuffisance par un don fait de la main à la main. Dans un des meubles de sa chambre, elle conservait, dit Mme du Deffand, « une somme d’argent assez considérable, » mise de côté à cet effet. Un peu avant sa fin, elle fit venir Julie, lui confia la clé du bureau qui recelait cette somme, « lui

  1. Testament daté du 3 août 1746. Archives d’Avauges.
  2. Le même testament contient une clause analogue en faveur d’Hilaire-Hubert, avec les mêmes suggestions à embrasser l’état monastique. La pension est pour lui réduite à 200 livres et la somme léguée à 4 000.