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vous en souciez guère ? Cela serait bien naturel ; » elle qui tracera froidement ces lignes : « Vous ne me dites pas si le petit d’Albon continue à vouloir être prêtre, ou s’il tranchera la difficulté par mourir de la poitrine ? Ce serait bien dommage… au moins quant à la figure ; » cette même femme, au contraire, lorsqu’il s’agit du fils de Gaspard de Vichy, se passionne ardemment pour tout ce qui le touche, pour sa femme, lorsqu’il se marie, pour ses enfans, « qu’elle aime à la folie ; » elle le dirige dans toute la conduite de sa vie, dans sa carrière, dans ses rapports avec les siens, dans la gestion de sa fortune ; elle se donne un mal infini pour obtenir son avancement, tant qu’il appartient à l’armée, et la croix de Saint-Louis, quand il abandonne le service : elle sort de son lit, malade et grelottant la fièvre, afin de solliciter pour son compte : « Il y a un siècle, s’écrie-t-elle, que je n’ai fait un aussi grand tour de force que celui que je viens de faire pour vous ! »

Et à chaque page, dans cette correspondance, ce sont des formules caressantes, où s’épanche la tendresse de son cœur fraternel : « Tout ce qui vous intéresse m’est cher, et je trouverai qu’il manquera toujours quelque chose à mon bonheur, tant que je serai condamnée à vivre loin de vous… Je vous aimais à la folie, quand vous étiez enfant ; mon sentiment est le même, et il durera autant que ma vie… Je ne fais pour vous que la seule chose dont on ne doive pas remercier, c’est de vous aimer de tout mon cœur… » Dans une des premières lettres qu’elle lui écrit après l’avoir quitté, elle réprimande doucement l’adolescent qu’il est encore sur le ton trop cérémonieux dont il use envers elle : « Je sais que vous êtes bien grand, bien conséquentieux, mais souvenez-vous que je vous ai vu pas plus haut que cela, que j’étais alors votre bonne amie de nom, et qu’actuellement, je le suis de fait. Ainsi, je vous en prie, ne nous interdisons point les noms qui servent à exprimer l’amitié ; je ne veux point de Mademoiselle dans vos lettres. En public, il faut bien se conformer à l’usage, mais, de vous à moi, je ne veux rien perdre. »

La réserve du jeune Vichy se conçoit d’ailleurs aisément, car il semble prouvé qu’il ignora longtemps la vérité sur l’ascendance paternelle de Julie. Dans une lettre où celle-ci l’entretient, en termes voilés, du veto jadis opposé par Gaspard de Vichy au projet caressé par la comtesse d’Albon de donner à sa fille un état légitime : « Tout cela, mon cher ami, lui échappe-t-il de