interrogation sur le mystère de sa naissance, et plus tard enfin sa colère, son indignation violente, alors qu’elle se croira trahie, non par une étrangère dont un simple contrat a fait son associée, mais par une personne de son sang, à laquelle elle s’est efforcée de refaire un foyer et de rendre une famille. Je ne fais qu’indiquer ici, ayant à y revenir, par la suite, l’analogie frappante d’humeur, de goûts, de tour d’esprit, qu’on remarque entre les deux femmes et qu’une même origine explique de façon naturelle ; et je passe à d’autres raisons, tirées de la correspondance de Mlle de Lespinasse. J’entends par là certains passages des lettres qu’elle adresse à Guibert et à Condorcet, passages qui semblaient jusqu’ici ou peu intelligibles ou singulièrement excessifs : « Quelque jour, écrit-elle à l’un[1], je vous conterai des choses qu’on ne trouve point dans les romans de Prévost ni de Richardson. Mon histoire est un composé de circonstances si funestes, que cela m’a prouvé que le vrai n’est souvent pas vraisemblable… Ah ! combien les hommes sont cruels ! Les tigres sont encore bons auprès d’eux ! » Ainsi parle-t-elle à Guibert ; et c’est sur le même ton tragique qu’elle s’exprime avec Condorcet[2] : « Moi qui n’ai connu que la douleur et la souffrance, moi qui n’ai éprouvé que des atrocités des gens de qui je devais attendre du soulagement !… »
Ces expressions seraient bien violentes pour peindre la situation, — malheureusement trop ordinaire, — d’un enfant né hors du mariage et subissant les conséquences d’une faute dont il n’est pas coupable. Mais tout s’éclaire si l’on admet la paternité de Gaspard de Vichy. Ce dernier, en effet, sept ans après la naissance de Julie[3], épousait la fille légitime de la comtesse d’Albon, Marie-Camille-Diane, alors dans sa vingt-quatrième année. Qu’un homme s’unisse à la fille de son ancienne maîtresse, la chose, si répréhensible qu’elle soit, n’est certainement pas sans exemple, surtout au siècle où la chose se passa ; mais l’affaire ici se complique de l’existence de cette bâtarde, élevée, sous un nom supposé, par une mère qui voudrait et qui ne peut la reconnaître, auprès d’un père qui est en même temps son beau-frère, et dont les intérêts, par suite, sont opposés à ceux de sa fille naturelle. On imagine quels conflits douloureux, quels