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autres, partis du camp de Sylla, étaient arrivés par beaucoup de détours à la démocratie, on l’avait toujours connu fidèle à la même cause. Partisan de Marius dès le premier jour, il ne l’avait pas renié après sa défaite. Il venait de faire relever ses trophées, renversés par Sylla ; il poursuivait avec acharnement ses ennemis devant les tribunaux. Le peuple avait pleine confiance en lui, et il le sentait bien, ce qui doublait sa force. Lui aussi, à mesure qu’il avançait dans la vie, prenait confiance en lui-même et s’affermissait dans son ambition. Il avait cette qualité, qui manquait à ses rivaux, de savoir nettement ce qu’il voulait faire. Il sentait bien que le moment était décisif pour affermir la supériorité qu’il avait acquise dans son parti. Mais il comprenait aussi combien il lui serait difficile de le faire, s’il avait Pompée en face de lui. L’arrivée de ce trouble-fête devait le gêner comme Crassus, et il était naturel que, par toutes sortes de machinations et d’intrigues, il cherchât d’avance à prendre ses précautions contre lui.

En présence de ces trois personnages, quelle est l’attitude de Cicéron ? — Il est le protégé de Pompée et il tient à continuer à l’être. Comme il connaît ses goûts, il le paye en complimens. Ce grand nom revient à satiété dans tous ses discours : c’est celui dont il se pare à tout propos comme d’un ornement et dont il se couvre comme d’une défense. Mais, malgré les services qu’il lui a rendus et les éloges qu’il lui prodigue, il a pratiqué assez le personnage pour savoir qu’on ne peut pas se fier tout à fait à lui. Dans l’excès même des louanges dont il le comble, il semble qu’on sente un effort pour enchaîner une reconnaissance toujours prête à s’échapper. On aperçoit aussi par momens que cette servitude commence à lui peser, et il laisse entrevoir, au milieu même de ses flatteries, quelques velléités d’émancipation. Par exemple, il fait remarquer que, s’il a été nommé consul avec l’aveu de Pompée, c’était pourtant en son absence, ce qui diminue sensiblement la part qu’il y a prise. Cette observation n’a pas dû échapper aux malveillans. Il était impossible aussi qu’on ne s’aperçût pas de l’insistance avec laquelle il ne cesse de rappeler qu’il ne doit ses succès qu’à sa parole, et qu’on n’y ‘sentît une pointe d’ironie contre la gloire militaire. C’est le prélude du fameux hémistiche : Cedant arma togæ, que Pompée ne lui a jamais pardonné. Malgré tout, l’éloge du vainqueur de l’Asie revient souvent encore dans ses discours. Il continue à