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ce qui arriva plus tard. L’aristocratie était trop habile pour ne pas faire payer de quelque manière à Cicéron son appui, quoiqu’il lui fût impossible de ne pas le lui donner. Elle le savait d’humeur assez changeante et pensa sans doute qu’il était bon de prendre des précautions avec lui. Il est probable que sur certaines questions elle en obtint des engagemens que nous pouvons deviner, puisque loyalement il les a tenus. Le zèle avec lequel, étant consul, il a défendu les intérêts du Sénat, même quand, au fond du cœur, il leur était contraire, semble bien indiquer qu’il s’était engagé d’avance à maintenir ce qui restait des lois de Sylla.

L’habitude que nous avons prise du suffrage universel chez nous et chez les autres nous permet de comprendre la scène par laquelle se terminèrent les comices de 690. Quand tout le monde vote, c’est souvent par une sorte d’entraînement que les élections importantes se décident. On s’émeut, on s’excite l’un par l’autre, et, aux dernières heures, il se forme un courant auquel personne ne résiste. La foule accourut au Champ de Mars, quand le scrutin fut ouvert. Les électeurs ne se contentaient pas de mettre dans l’urne leur bulletin de vote, « garant muet de la liberté des suffrages, » ils acclamaient avec enthousiasme le nom de Cicéron, en sorte qu’il a pu dire « que ce n’est pas seulement la voix du héraut, mais celle du peuple romain qui l’a proclamé consul. » Antoine ne l’emporta que de quelques voix sur Catilina.


III

C’était une grande victoire pour Cicéron. Il était nommé le premier, aux acclamations de tout le peuple. Il obtenait la plus haute magistrature de la république, deux ans après avoir été préteur, c’est-à-dire aussitôt que la loi lui permettait d’y prétendre, tandis que son compatriote Marius, un si grand homme de guerre, avait mis sept ans pour arriver de la préture au consulat. Quand on connaît sa sensibilité délicate et le penchant qu’il avait à se complaire en lui-même, on comprend qu’il en ait éprouvé une joie débordante. Quoiqu’il ait eu dans sa vie quelques beaux jours de triomphe, il n’a peut-être jamais été plus heureux que lorsque, au Champ de Mars, dans la villa publica, où se tenait le candidat pendant l’élection, cette cohorte