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grand homme de bien et illustre orateur, que Cicéron a célébré dans ses ouvrages de rhétorique ; mais il ne ressemblait pas à son père. Il sortait, comme Catilina et tant d’autres, de cette bande de jeunes nobles dont Sylla s’entourait et qui avait scandaleusement exploité sa victoire. Comme ses compagnons, il s’était enrichi dans la pillerie qui suivit les proscriptions ; comme eux, il avait très vite dissipé sa fortune, et, quoiqu’il eût tenté de la refaire en pillant l’Achaïe à l’aide de quelques cavaliers syllaniens, il était réduit à vivre d’expédiens. C’était un malhonnête homme et un homme médiocre. « Il y a, disait Quintus, cette différence entre Catilina et lui que Catilina ne craint ni les dieux, ni les hommes, tandis qu’Antoine a peur de son ombre. » Il n’en avait pas moins une certaine popularité, qui lui venait de l’affection qu’on avait gardée pour son père. Une des plus grandes vertus du peuple romain, la dernière peut-être qu’il ait perdue, c’était le respect des traditions et la, fidélité aux souvenirs. Il avait ce mérite, si rare chez les autres peuples, de ne pas oublier.

Le choix des deux consuls allait donc se faire entre ces trois candidats. Cicéron, s’il était nommé, devait se résigner à avoir l’un d’eux pour collègue. Il n’y a pas de doute qu’il n’en eût mieux aimé un autre ; mais il n’était pas libre de faire sa volonté, et il lui fallait subir celui que les caprices de la foule lui imposeraient. Il semble bien qu’au début, il fût porté à préférer Catilina, et c’était pour le bien disposer en sa faveur que, comme on l’a vu, il se préparait à plaider pour lui. Cette préférence, après tout, n’est pas pour nous trop surprendre. Il nous dit qu’en cherchant bien, il avait cru voir en lui « quelques apparences de bonnes qualités ; » chez Antoine, on ne découvrait que des vices. Forcé de se décider entre deux malhonnêtes gens, il se tournait vers celui chez lequel on pouvait réveiller peut-être quelque étincelle d’honneur et de générosité. Je suis même tenté de croire que, si l’affaire ne réussit pas comme Cicéron le voulait, ce ne fut pas tout à fait sa faute. Catilina se connaissait en hommes ; il jugea sans doute que Cicéron serait un collègue gênant et qu’il ne le laisserait pas libre d’exécuter ses projets, tandis qu’il ferait ce qu’il voudrait d’Antoine, et il se tourna vers lui. Tous les deux formèrent une entente (coitio), et se mirent ensemble en campagne.

On pense bien que la corruption n’était pas oubliée, parmi