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quelquefois une trahison, on n’oublie jamais une raillerie. Ce n’est pas seulement Catilina qui lui reprochait d’être un parvenu ; deux ans après la conjuration, en plein Forum, un de ces patriciens que son courage avait sauvés lui rappelait insolemment son origine. Quand il fut condamné à l’exil, il lui parut que le Sénat ne l’avait pas défendu de bon cœur ; il soupçonna que, parmi ses anciens alliés, il y en avait qui n’étaient pas fâchés qu’il fût parti, et je crois bien qu’il n’avait pas tort.

La naissance créait à Cicéron, dans les luttes électorales, une autre infériorité, dont Quintus est préoccupé. Le jeune noble n’a pas besoin de se faire une clientèle. Le jour où il plaide sa première cause, celui où il paraît pour la première fois au Champ de Mars pour demander une fonction publique, il est sûr que des cliens viendront en foule le prendre dans son atrium, qu’ils l’accompagneront dans les rues de Rome et le ramèneront jusqu’à sa porte. Ils ne le connaissent pas, ils ne savent de lui que son nom ; mais ce nom, ils le respectent, ils le vénèrent : c’est celui sous le patronage duquel, de père en fils, ils sont habitués à se ranger. Or, à Rome, c’est une des premières conditions de succès pour un candidat de ne se montrer jamais en public qu’entouré d’un cortège imposant ; on n’a de considération pour lui que s’il traîne la foule à sa suite ; il lui faut, dit Quintus, vivre toujours avec la multitude, esse cum multitudine. Ces amis qui doivent venir le saluer le matin à son réveil, ces cliens qui le suivent et l’écoutent au Forum, Cicéron, malheureusement pour lui, ne les a pas trouvés, comme les patriciens, dans l’héritage de sa famille et il a été forcé de se les procurer à lui-même. Il y a pris grand’peine. D’abord, il s’est fait le champion de l’ordre des chevaliers, auquel il appartenait par la naissance, et qu’il a toujours soutenu de son autorité et de sa parole. Ils ne sont pas nombreux, mais ils sont très riches et leur influence est considérable. Il a aussi pour lui les amis qu’il s’est acquis par les services qu’il a rendus, surtout par les affaires qu’il a plaidées. Malheureusement ces amis ne sont pas tous recommandables : la nécessité de se faire des cliens d’importance l’a souvent amené à se charger de bien mauvaises causes. Il a enfin les lettrés, qui admirent en lui le plus grand orateur de Rome ; parmi eux, des jeunes gens en grand nombre, dont plusieurs portent un nom illustre, et qui tiennent à honneur de passer pour ses disciples. Ils le suivent partout, prêts à exécuter ses