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pour suffire à une tâche écrasante augmentaient la disproportion entre ses forces réelles et celles qu’il lui aurait fallu pour continuer son œuvre au milieu de difficultés sans cesse renaissantes. Ces difficultés tenaient surtout à la question des chemins de fer. Elles ont pris une double forme : l’une, accidentelle, venant de la grève des employés de la voie ferrée, l’autre, plus profonde, venant du projet de rachat annoncé par le gouvernement. Nous doutons fort de l’opportunité de cette dernière mesure. M. Giolitti, qui est allé imprudemment au-devant de la difficulté, a reculé quand il l’a vue de près et l’a laissée en héritage à ses successeurs. Pour ce qui est de la grève, elle a pris un caractère particulier sur lequel les journaux ont donné de longs détails, parfois amusans pour le lecteur, mais beaucoup moins pour les voyageurs. Les employés ne se sont pas mis en grève dans le vieux sens du mot ; ils se sont contentés de faire de l’obstruction par une application littérale et vexatoire des règlemens, à l’encontre des tolérances et des habitudes établies. La livraison des tickets et l’enregistrement des bagages sont devenus des formalités volontairement interminables. Cette mauvaise plaisanterie a été mal prise par le public, et les employés des chemins de fer n’auraient pas pu la prolonger plus longtemps lorsque, le ministère Giolitti ayant donné sa démission, ils ont feint de triompher et se sont déclarés satisfaits. La grève était finie, grève originale qui permettait aux employés de toucher leurs appointemens pour empêcher les voyageurs et les bagages de circuler. Mais il fallait faire un autre cabinet, et cela, en dehors de toute indication parlementaire, puisque M. Giolitti n’avait pas été renversé et qu’il était parti de son plein gré. Le Roi s’est adressé à M. Fortis et celui-ci, au moment où nous écrivons, continue ses démarches. Il est déjà attaqué violemment par les socialistes auxquels son passé inspire peu de confiance, et les grévistes d’hier commencent à se demander s’ils auront à se féliciter beaucoup de leur prétendue victoire. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à trouver l’avenir incertain.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.