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Par delà toutes ces exquises vertus « picturales » du portrait de Madrid, toujours nous nous reprenons à interroger les yeux, la bouche, l’âme du modèle. « Quelle espèce d’hommes est-ce là, — nous demandons-nous, — et que nous veut-il avec son sourire ? Un jeune ouvrier endimanché, tout fier de sa belle mine, de son beau costume, et de l’adresse, en effet merveilleuse, de sa main ? Ou bien un songe-creux, acharné à la poursuite d’impossibles chimères, et se désespérant de ne pouvoir les atteindre ? Il est heureux et il souffre, cela est sûr : mais d’où lui viennent cette joie et cette souffrance ? Et puis, pourquoi son visage, si expressif qu’il soit, semble-t-il avoir à nous dire toute sorte de choses qu’il ne nous dit point ? »

Autant de questions que nous suggère immanquablement le portrait de Madrid ; et tous les autres portraits du maître allemand nous suggèrent les mêmes questions, et aussi toutes ses autres œuvres, peintures, gravures, ou dessins. Car si l’on a eu raison d’affirmer qu’il existe, dans tous les arts, des hommes dont l’œuvre se suffit à elle-même, sans que nous ayons besoin d’en connaître l’auteur, et des hommes dont, au contraire, l’œuvre nous intéresse surtout par ce qu’elles nous révèle de leurs sentimens ou de leurs pensées, c’est à cette seconde catégorie d’artistes que, plus que personne parmi les peintres, appartient Dürer. Jamais, ou presque jamais, son art ne nous donne aux yeux la satisfaction absolue et plénière que nous donne, par exemple, le moindre morceau d’un Raphaël ou d’un Titien, ou de ses compatriotes Burgmair et Holbein. Nous l’admirons, en somme, plus que nous n’en jouissons : ou plutôt la jouissance profonde qu’il nous procure dérive moins des hautes qualités artistiques qui s’y offrent à nous que de l’originale et émouvante figure d’artiste, bien plus haute encore, que nous avons l’impression d’entrevoir derrière elles. En présence des Apôtres de Munich ou de la Némésis, comme en présence du portrait de Madrid, il nous paraît toujours que Dürer a plus de choses à nous dire qu’il ne nous en dit. Et toujours nous nous reprenons à nous demander : « Quelle espèce d’homme est-ce là ? Un ouvrier ou un poète ? Un observateur ou un inventeur ? Un chrétien ou un païen ? Un sage ou un fou ? »

Vainement on chercherait une réponse à ces questions dans le nouveau livre anglais de M. Sturge Moore. Celui-ci, qui ne manque