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voir ni ne rien entendre. Il se laisse porter, les bras en avant, les yeux fermés, un sourire fixe aux lèvres, comme en état de somnambulisme. » Car c’est bien un rêve qu’il vient de réaliser, une de ces prouesses qui sont un défi jeté à la raison.

Ce retour, quelque explication qu’on en donne, reste un prodige. Mais M. Houssaye lui rend son véritable caractère, en nous le montrant favorisé par le seul mouvement populaire. Car il est inexact qu’il ait été le résultat d’un complot : résolu et préparé par Napoléon lui seul, il surprit les bonapartistes autant que les royalistes. Il n’a pas été davantage l’effet d’une conspiration militaire. Outre que les maréchaux de Napoléon ne se souciaient nullement d’être troublés dans la possession de leurs charges et jetés dans de nouvelles aventures, les soldats eux-mêmes n’auraient pas su prendre l’initiative de se déclarer pour lui. « Restés idolâtres de leur Empereur, ils frissonnaient à l’idée de le trouver au bout de leurs fusils et se juraient de ne pas tirer sur lui ; mais, ayant perdu la volonté dans la longue accoutumance de la discipline, ils ne se déclarèrent que lorsqu’ils s’y sentirent encouragés par l’élan des populations. » C’est le peuple, ce sont les paysans et les ouvriers des villes qui sont venus au-devant de l’Empereur : c’est sous leur pression que tous les obstacles ont cédé.

Dans ce premier moment de communion avec le pays, Napoléon a retrouvé toute son activité et son énergie de décision. Mais ce moment ne dure pas. Dans l’enthousiasme populaire se mêlaient, au souvenir des gloires passées, la rancune contre les humiliations imposées par l’étranger, l’animosité contre le gouvernement des Bourbons, la crainte du retour à l’ancien régime. Cet enthousiasme, après quelques jours, a déjà commencé de décroître ; les résistances à la restauration de l’Empire s’accentuent ; on redoute la reprise de la guerre dont le pays, depuis si longtemps, est si las ! La confiance s’évanouit. Le mot d’ordre des mécontens : « Ça ne durera pas » s’impose à la masse. L’impression dominante est celle du provisoire. Elle se répercute sur Napoléon. C’est un des points les mieux mis en lumière par M. Houssaye, au cours de son récit, que le progrès de ce découragement, auquel il convient d’attribuer ce qu’on a appelé les fautes et les défaillances de l’Empereur. « A la fin de mai, il n’était plus l’homme du 20 mars. Il avait gardé intactes les qualités maîtresses de son vaste génie ; mais les qualités complémentaires : la volonté, la décision, la confiance avaient décliné en lui. La nature éminemment nerveuse de Napoléon était soumise aux influences morales… L’esprit influait sur le corps qui réagissait alors sur l’esprit.