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continuels changemens de scène donneront au spectacle sa variété et son mouvement. Nous verrons le jeu des influences réciproques, des actions et des réactions. C’est de cette complexité même qu’est faite la vie.

Comment l’historien va-t-il nous en donner la sensation ? C’est d’abord par la multiplicité, par la précision et par la minutie des détails. Il ne néglige aucun des traits qui peuvent nous faire entrer dans l’intimité de ses personnages. Il sait par quelles hésitations ils ont passé avant de se déterminer, quels mobiles ont influé sur eux, quelles intentions dissimulait leur langage ou leur conduite. Il n’a garde pour cela de s’en remettre à la probabilité des déductions ; il n’avance rien qui ne repose sur les témoignages les moins suspects, documens d’archives, correspondances ou mémoires. Autant que les faits il affectionne les chiffres. Qu’il s’agisse de l’effectif des troupes, des armemens, des subsistances, ou des ressources du Trésor, il nous en fournit le compte exact. Il ne croit pas inutile de décrire l’uniforme du soldat, le costume du demi-solde ou celui du garde royal. Il ne redoute ni les énumérations, ni les inventaires. C’est cela qui donne au récit sa base solide ; de l’accumulation de ces traits précis résulte une incomparable impression de réalité.

M. Houssaye se défend d’avoir aucune espèce d’imagination et se déclare incapable de rien inventer. C’est qu’il y a des petits faits qui en disent plus long que toutes les inventions, et des anecdotes significatives qu’il suffit de placer en leur lieu. Aux Tuileries, où l’on attend l’Empereur échappé de l’île d’Elbe, le personnel de la ci-devant Cour impériale se trouve réuni comme par enchantement. « Avec une joie enfantine les femmes parcourent la salle des Maréchaux, la galerie de Diane, la salle du Trône, tous ces lieux de fêtes où a brillé leur beauté. Dans la salle du Trône elles remarquent que les fleurs de lys du tapis sont seulement appliquées. On arrache une fleur ; une abeille apparaît. Ces femmes en grande toilette se mettent gaiement et fébrilement au travail. En moins d’une demi-heure, le tapis redevient impérial. » Lorsque l’abdication est déjà signée et l’Empereur prêt à quitter Paris, -le peuple, qui lui reste invinciblement attaché, ne veut pas croire à son départ. À cette époque, l’Elysée était séparé de la rue par un saut de loup et un mur bas ; comme le souverain déchu se promenait dans le jardin, « il vit accourir à lui, se jeter à ses genoux et embrasser les pans de son uniforme, un officier qui d’un bond avait franchi le saut de loup. Cet ardent jeune homme venait le supplier au nom de tous ses camarades du régiment de se mettre à la tête de l’armée. L’Empereur