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mal organisés, mal disciplinés. Ceux qui en ont fait l’épreuve sont devenus sceptiques sur son efficacité.

La grève générale ne saurait donc se substituer, comme le voudraient les anarchistes et les syndicaux exaltés, à l’action électorale et parlementaire, dont la mission est de conquérir la majorité et par conséquent les pouvoirs publics, et de tuer la société bourgeoise par la légalité même qu’elle a établie.

Mais l’idée de grève générale est si populaire dans les milieux ouvriers, en raison même des déceptions que l’action politique cause à leurs impatiences, que les socialistes parlementaires sont bien obligés d’en tenir compte. Ils écartent la grève considérée comme prélude et prologue de la Révolution. Elle ne peut remplacer l’action politique, mais elle peut la seconder. Afin d’éviter toute confusion avec les anarchistes, ils baptisent la grève générale, ainsi entendue, d’un nouveau nom : der politische Massenstreik, la grève politique des masses.

Les masses ouvrières organisées, par une simple menace de mobilisation, peuvent appuyer très utilement, disent-ils, les socialistes au parlement, car ceux-ci seront d’autant plus forts pour négocier avec les partis bourgeois. Mais la grève politique doit avoir pour objet soit une extension du suffrage, soit un rappel des réformes promises par une majorité oublieuse, soit même la défense de la légalité, si par exemple le suffrage universel était supprimé par un coup d’État, éventualité menaçante en Allemagne. Il faut, en un mot, que le but poursuivi passionne les classes ouvrières, obtienne les sympathies de l’opinion et n’ait rien de chimérique[1]. Elle doit se réduire finalement à une simple démonstration de la rue, recruter ses adhérens dans les grands centres industriels où les ouvriers sont dressés à une forte discipline, être enfin aussi courte que pacifique[2].

Tel est le sens, sinon le texte un peu ambigu de la motion votée au congrès d’Amsterdam. Elle condamne la théorie anarchiste d’après laquelle l’émancipation de la classe ouvrière pourrait résulter d’un effort subit. La grève politique, afin d’aboutir, doit être une prime à l’organisation syndicale, et le résultat

  1. Le Peuple de Bruxelles, article de M. Jaurès.
  2. Mais cette règle ne s’appliquera qu’aux pays représentatifs, où les socialistes ont réussi à forcer l’entrée des parlemens. Dans les États autocratiques, tels que la Russie, la violence est permise, si elle est efficace. C’est une question d’opportunité !