défaite de l’armée russe, tout désordre dans l’Empire, comme un gage de victoire pour la Révolution sociale de tous les pays[1].
Ce que serait cette révolution pour le peuple russe, il est aisé de le prédire : ce serait l’anarchie complète. Comparé à cette anarchie, le despotisme apparaîtrait comme un bienfait. C’est ce qu’entrevoit le regard mystique de Tolstoï, aussi clairement que la lucide intelligence politique de Macaulay, lors de l’agitation chartiste. Le suffrage universel présuppose l’éducation universelle, disait Macaulay, — et la moralité universelle, ajoute Tolstoï. « Il n’y a, disait-il récemment, qu’une partie du peuple russe qui songe à la révolte. En recourant à la force pour remédier à ses maux, le peuple se rendrait aussi coupable que les troupes de l’Empereur. La Russie ne peut attendre de réformes ni grandes, ni vraiment utiles, de ce côté. »
VI
Ce rapide exposé des grèves politiques qui se sont succédé en Europe depuis 1842, avec une fréquence et une intensité croissantes, mais avec d’énormes gaspillages, et, jusqu’à présent, sans succès décisif, nous permettra de nous orienter à travers l’enquête entreprise par le Mouvement socialiste[2], auprès des théoriciens et des meneurs de tous les pays.
On retrouve, dans presque toutes ces grèves, les deux tendances qui divisent les partis socialistes en réformistes et en révolutionnaires. Sans doute, tous sont verbalement d’accord sur le but final : la destruction de la société capitaliste et sa transformation en société collectiviste. Mais ils diffèrent sur la méthode, nous dirions plutôt sur la mesure et le rythme. Les réformistes ne croient qu’à l’efficacité des étapes légales et graduées vers la conquête des pouvoirs publics. Les révolutionnaires ne visent qu’à des poussées de plus en plus rapprochées, et de plus en plus violentes, pour renverser l’ordre établi.
Tant que les socialistes ne disposaient pas du suffrage universel[3], ou lorsque ce suffrage restait encore sourd à leur propagande, ils ne différaient guère des anarchistes, du moins