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ministratifs de la ville. Elle avait publié un ukase supprimant tous les journaux, même socialistes. Il n’y eut plus qu’une seule gazette, le Bolletino dello Sciopero, le bulletin de la grève, écrit sur le ton du despotisme le plus insolent. Trois cents cyclistes, portant un brassard rouge, couraient par toute la ville porter les ordres du Comité, qui dut organiser une police contre les anarchistes.

Il serait malaisé de dresser, même de façon approximative, le bilan de cette grève : soldats blessés, ouvriers tués, passans dévalisés ou poignardés, propriétés dévastées, journées de travail perdues, affaires partout arrêtées, touristes éloignés, au moment de la plus grande affluence, etc., etc. Quant aux bénéfices, ils se réduisirent à une réponse de M. Giolitti au maire de Turin, par laquelle le gouvernement promettait de respecter la liberté dans les conflits entre patrons et ouvriers. Au lieu de convoquer la Chambre, M. Giolitti s’était empressé de la dissoudre, afin que les électeurs votassent sous l’impression de la grève qui leur avait donné un avant-goût de la société future. Les socialistes ont pu maintenir leurs positions à la Chambre ; ils ont même gagné 300 000 voix dans les provinces agricoles. Mais toutes les villes où ils ont régné seulement vingt-quatre heures se sont retournées contre eux, et Milan vient de les chasser du Conseil municipal.

La grève d’Italie a donné lieu à des discussions et à des dissertations sans nombre entre socialistes. M. Jaurès trouve un grand motif de satisfaction dans ce fait que le prolétariat a montré sa force en suspendant la vie économique de tout un pays : la grève générale annonce une force nouvelle, « légale et pacifique, » d’action prolétarienne. Elle permet au prolétariat de « s’affirmer lui-même. » De cette grève, le chef des réformistes, M. Turati, apprécie surtout la brièveté ; c’est déjà trop qu’elle ait duré trois jours ; les habitans fatigués applaudissaient aux arrestations. Son rival, M. Labriola, voit dans la grève la meilleure arme politique de défense et d’attaque contre la société bourgeoise. C’est la répétition générale de la révolution de demain. Les stratégistes enfin se sont livrés à une critique approfondie de cette grève, comme s’il s’agissait des grandes manœuvres. Ils nous ont esquissé la silhouette de la grève considérée comme œuvre d’art. La grève n’a pas été assez simultanée ; il faudrait obtenir l’exactitude d’un mouvement d’horloge. On devra désor-