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cette grève d’indignation collective cachait, de l’aveu même des socialistes[1], une « combinaison » machiavélique : renverser Giolitti, ramener l’unité dans le parti socialiste, en obligeant les réformistes à suivre le mouvement.

Des réjouissances publiques répondaient à l’annonce de la naissance d’un prince royal, et on se préparait à fêter l’anniversaire de l’Unité italienne, le 20 septembre, lorsque la grève fut décidée à Milan, dans la nuit du 14, à la suite des discours, à la Chambre du travail de Milan, de deux intellectuels de marque, Arturo Labriola et Mocchi, mari de la prima donna du théâtre de la Scala. L’ordre de mobilisation fut donné aussitôt, dans toute l’Italie, par le secrétariat de résistance, et des Alpes à Syracuse, dans 900 villes, parmi lesquelles les plus importantes, Turin, Rome, Milan, Gênes, Naples, un million de travailleurs déposèrent leurs outils et quittèrent leurs ateliers. La grève dura du 17 au 19 septembre et cessa, comme elle avait commencé, à heure dite.

Partout la vie sociale fut arrêtée. Il n’y eut plus ni gaz, ni électricité, ni tramways, ni trains, ni service postal. Les employés de chemins de fer, et en général les employés de l’État avaient refusé de se solidariser avec les grévistes, mais les femmes et les enfans empêchaient les trains de partir en se couchant sur les rails. On obligeait tous les magasins à fermer, même les pharmacies. Aucune voiture ne pouvait circuler, pas même celles des médecins des ambulances et des pompes funèbres. Portefaix, chômeurs et badauds se gaussaient des voyageurs obligés de traîner leurs malles.

Mais la grève ne se bornait pas à des spectacles plaisans. On assistait à des scènes de dévastation sauvage et de méchanceté plus que bestiale. Les kiosques étaient renversés, les becs de gaz, brisés. À Venise, on jetait dans le canal le lait destiné aux enfans et aux malades des hôpitaux. On assassinait dans les rues ténébreuses de Gênes. Le Nord montrait plus de férocité que Naples ou la Sicile. C’était le règne de la Teppa, cette camorra des ruffians et des apaches[2].

À Milan, la Chambre du travail, au nom du prolétariat, s’était emparée des pouvoirs publics et dirigeait les services ad-

  1. L’Humanité du 27 septembre 1904.
  2. Voyez, dans le Journal des Débats du 12 octobre, les impressions si vivantes et si colorées de M. Gebhart, témoin de la grève.