Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrassiers du Latium avaient élevée contre les barbares. Il n’en reste que ce qui reste d’un tremblement de terre ou du retrait d’un océan : des vallons et des dunes.

Nous ne fîmes que traverser la vieille cité turque de Meijidié ; mais, à peine en étions-nous sortis, que nous faillîmes y rentrer. Le cheval du brave Tatar, qui s’était engagé à nous conduire au village de Peshtera, montrait un attachement incroyable pour sa ville natale. Lorsqu’il en atteignit les dernières maisons, il rebroussa chemin tout tranquillement et répondit aux objurgations de son maître par ces coups de queue dont ses pareils écartent les mouches. Le Tatar descendit, lui flatta le museau, et le remit dans la bonne route ; mais, dès que son conducteur eut regrimpé sur son siège, l’animal nous fit décrire un nouveau demi-cercle et repartit au trot vers l’auberge ou la mosquée. Les Tatars ont de la malice. Le nôtre, désespérant de vaincre les répugnances de son cheval, essaya de le tromper et de l’amener hors de la ville, en lui contant des histoires et par des voies inaccoutumées. Peine perdue ! Le cheval s’arrêta net, au tournant d’un tumulus, sur un effondrement de l’empire romain. « Il ne veut pas ! s’écria le petit homme. Il ne veut pas ! » Nous voulions, nous ; mais nos volontés se seraient brisées contre l’entêtement de la bête et la douceur du cocher, si, par bonheur, quatre charrettes, qui s’en allaient aux champs, n’eussent défilé sous nos yeux. Notre cheval regarda leurs huit chevaux : il se dit sans doute que l’heure avait sonné pour tous les chevaux de quitter Meijidié, et, résigné, il prit le pas derrière eux.

Jamais encore l’immense plaine vallonnée ne m’avait paru plus immense, ni sa désolation plus infinie. Tout n’y est que poussière ; poussière, le vent qui passe ; poussière, le rayon de soleil qui luit ; poussière froide et piquante à l’aube ; poussière brûlante à midi ; et, vers le crépuscule, petite poussière humide et fraîche. Elle nous voile, mais sans nous les dérober, la majesté de l’étendue et la noblesse du désert.

Je ne sais combien d’heures le cheval du Tatar avait trotté dans cette poussière, lorsque nous aperçûmes le clocher de Peshtera. Peshtera est un village fondé par les Roumains de Transylvanie. Ils étaient très pauvres alors : maintenant les moins fortunés labourent leurs vingt-cinq hectares et possèdent leurs deux chevaux. Ils ont pourtant gardé l’apparence de leur ancienne pauvreté. Leurs maisons disséminées dans la vallée