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VI

Cet automne de 1848 était par excellence une saison d’incertitude politique ; Francfort, Berlin, Vienne pressentaient un lendemain redoutable, et d’autant plus redouté qu’on l’ignorait ; c’était une de ces heures où les hommes se sentent « agis » plus qu’ils n’ont conscience d’agir. On savait à peine, dans l’Allemagne d’alors, quel était l’État, et où il était ; on savait moins encore où il serait demain, et quel il serait demain. Le parlement de Francfort n’était-il qu’une crise, ou bien érigeait-il un édifice durable ? L’Etat avec lequel l’Eglise aurait prochainement à traiter serait-il un corps fédératif dont ce parlement était comme l’organe prématuré, ou bien l’Église se retrouverait-elle en présence d’une mosaïque de souverainetés à demi absolues ? Les évêques rassemblés, sans s’attarder à d’inutiles pronostics sur l’issue des agitations, se fixèrent la ligne de conduite que suivrait l’Eglise à l’endroit de l’État, quel qu’il fût. Doellinger la définissait en ces termes :


En dépit des événemens récens, en dépit des changemens qu’on peut encore attendre, il n’appartient point à l’Église, en Allemagne, d’amener ou de désirer une séparation d’avec l’État. De même que l’Église ne se sépare de personne qui ne soit auparavant séparé d’elle, intérieurement ou extérieurement, elle ne doit pas se séparer d’avec l’État, c’est-à-dire d’avec cette puissance d’ordre public qui ne peut reposer que sur une base morale et religieuse ; elle ne doit pas vouloir enlever complètement à l’État ce qu’il conserve encore de caractères chrétiens. Si l’État, actuellement, devait se séparer d’elle de plus en plus, limiter son influence, la combattre même, l’Église, de son côté, ne devrait pas rompre des liens, qu’elle-même a noués dans une entente mutuelle. En tant seulement que la puissance de l’État, dans un sentiment d’hostilité, exploiterait au préjudice de l’Église, et pour son oppression, les derniers anneaux de la chaîne qui liait jusqu’ici l’Église et l’État, l’Église devrait, par une légitime défense, briser de son côté ces derniers anneaux. Dans la mesure, donc, où la puissance de l’État se sépare de l’Église, l’Église se comporte d’une façon purement passive ; elle laisse advenir, sans l’approuver, ce qu’elle ne peut empêcher.


Ainsi l’Église d’Allemagne se refusait à prendre l’initiative d’une rupture, et ne consentait pas, inversement, à subir, avec une systématique résignation, les sévices que lui pourrait infliger l’État. On prenait, à Wurzbourg, des décisions très formelles contre l’exercice du droit de placet par le pouvoir civil ;