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On était au lendemain de la sanglante émeute de Francfort, qui avait coûté la vie au général Auerswald et au prince Lichnowsky ; la peur, mauvaise conseillère pour les assemblées qui aiment l’ordre, n’allait-elle pas peser sur les congressistes de Mayence et paralyser leurs élans ? Mais le curé Ketteler venait de prononcer l’oraison funèbre des deux victimes, et dans son discours, définissant la crise qu’on traversait, il avait noté, « à côté d’une éclosion de viles passions telles que jusqu’ici l’humanité les connut à peine, une aspiration puissante, un effort, une poussée vers le plus haut idéal que l’âme humaine puisse concevoir. » Le prêtre, dans une cérémonie religieuse, avait rendu hommage à l’année 1848, en même temps qu’il en honorait les victimes : les laïques qui délibéraient à Mayence imitèrent l’exemple de générosité que Ketteler leur avait donné.

Loin de prendre peur du peuple, même égaré, ils se redisaient avec gratitude ce que ce peuple, déjà, avait fait pour l’Eglise. Le vicaire Ruland, de Berlin, rapportait une touchante histoire : comment une collecte, faite par quelques « compagnons, » avait permis l’installation, dans la capitale prussienne, de quelques sœurs gardes-malades, humble noyau dont le grand hôpital à. Sainte-Hedwige est sorti. Ruland aimait cette fondation populaire ; son discours résonnait comme un chant de triomphe, s’interrompait en des larmes de joie. « Ce ne sont pas des blasés élégans qui ont fait cela ; c’est le pauvre peuple catholique, luttant contre la misère ; c’est lui qui fait tout, tout vient du peuple. Il a donné sa sueur pour avoir des sœurs de charité. Ce n’est que grâce aux pfennigs de ces pauvres catholiques que je puis être devant vous, moi, un pauvre prêtre qui n’ai rien ! » Foerster, le futur prince-évêque de Breslau, racontait à son tour la construction de l’une des plus belles églises de Silésie avec l’argent des pauvres, qu’un terrible typhus avait récemment visités, et avec qui le clergé, survenant héroïquement derrière le typhus, était devenu familier.

Au banquet final, à côté d’un toast pour le pape, d’un toast pour l’épiscopat, il n’y eut pas moins de trois toasts pour ce peuple bienfaisant. Le premier était porté par Riffel, le professeur de théologie, victime naguère, à Giessen, des susceptibilités du gouvernement hessois : il se déclarait fils d’un homme de métier ; on eût dit qu’il se drapait dans s’a dignité de plébéien. Puis un aristocrate se dressait, Ketteler, le prochain évêque : « Mon