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criait Vogt, mais c’est à la condition que ce qu’on appelle Église soit anéanti. Pour moi toute Eglise, quelle qu’elle soit, est un obstacle à la civilisation. » « L’Église en tant qu’Église, reprenait Jordan, en tant que puissance extérieure, en tant que puissance régnant sur la conscience, doit succomber. »

Entre le mysticisme de Lasaulx et le dogmatisme matérialiste de Vogt et de Jordan, il y avait place pour d’infinies variétés d’opinion ; elles s’épanouissaient à loisir, dans l’interminable débat ; on avait l’impression, à de certaines minutes, que les extrêmes se touchaient. Les catholiques réclamaient l’indépendance de l’Église, les radicaux la séparation ; les uns et les autres, la suppression du droit de patronat.

Indépendance, séparation : les deux idées pouvaient, au regard de certains spectateurs inexpérimentés, paraître connexes. Mais les théologiens en jugeaient autrement, les hommes politiques aussi. Doellinger, le futur évêque Foerster, le curé tyrolien Beda Weber, demeuraient attachés, comme théologiens, à cette maxime fondamentale, que la société civile ne doit point être étrangère à la pensée religieuse : la « séparation, » au sens où l’entendaient les radicaux, leur paraissait un acheminement vers l’athéisme d’État. Au demeurant, derrière cette façade d’athéisme, l’Église aurait-elle véritablement son indépendance ? Les catholiques avaient de sérieuses raisons d’en douter ; car une théorie se faisait jour, parmi les radicaux, d’après laquelle les communes devaient reprendre sur l’Église ce droit de patronat, dont on dépouillerait l’Etat et les particuliers. En donnant au pouvoir communal une sorte de tutelle sur la paroisse, on introduirait dans la vie de la confession catholique le principe démocratique ; le prêtre trouverait dès lors un point d’appui contre l’évêque, et surtout contre Rome… C’est ainsi que les catholiques voyaient se dessiner un péril inédit : n’avaient-ils tant lutté contre les bureaux qui tyrannisaient l’Église que pour la livrer, dans chaque village, au césaro-papisme du corps électoral ? La puissance spirituelle allait-elle être asservie aux caprices du peuple, comme hier à un caprice des fonctionnaires ? Les radicaux savaient que, dans le petit clergé, les visées des députés catholiques étaient parfois médiocrement accueillies : aux yeux du prêtre frondeur, l’Eglise indépendante, c’était l’évêque devenant souverain ; et dans l’assemblée même de Francfort, un prêtre du Palatinat, Tafel, invoquait cet épouvantail pour