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catholicisme allemand faisait parade de ses énergies intellectuelles et rehaussait le prestige personnel de la nation bavaroise.

Subitement, en 1847, cette capitale fut la proie d’une bourrasque : la disgrâce du catholicisme y fut solennellement offensante. Il fut d’abord expulsé du pouvoir, dans la personne du ministre Abel et de ses collègues ; puis expulsé de l’Université dans la personne de Lasaulx, de Phillips, de Doellinger, de Deutinger, de Sepp. En quelques mois, l’effort de vingt-deux ans de règne fut annihilé. Un autre Louis Ier s’affichait, amer et colérique à l’endroit des « ultramontains ; » et le libertinage de la pensée, brusquement déchaîné par des hommes de valeur médiocre, se mettait au service d’un autre libertinage.

Lola Montès, la danseuse andalouse, pour laquelle un journaliste parisien avait récemment perdu la vie, avait exigé du Roi ce changement de décor. Près du trône, les regards des populations étaient habitués à chercher l’autel, et c’est Lola Montès qu’ils rencontraient. Les adversaires de l’Eglise s’étaient posés en « Lolamontains, » pour mieux combattre les ultramontains, qui avaient protesté par voie d’adresses contre l’acte royal concédant à l’Andalouse l’indigénat bavarois. La terre d’élection du catholicisme allemand était perdue ; l’Eglise concluait une fois de plus, qu’en acceptant, lorsqu’ils survenaient, les bienfaits des rois, elle devait apprendre à s’en passer.

Son deuil devint subitement plus profond : à la fin de janvier 1848, la nouvelle courut, d’un bout à l’autre de l’Allemagne, que Goerres agonisait. L’œuvre de Lola Montès était achevée par la mort : l’Université de Munich changeait de face. Louis de Bavière, en la bouleversant, n’avait pas osé toucher à Goerres : une autre main, celle de Dieu, se posait sur son prophète, et l’enlevait. Il laissait, inachevé, un article sur le Sonderbund. Son activité de publiciste catholique s’était inaugurée, vingt-deux ans plus tôt, par un bruyant opuscule sur un épisode suisse de politique religieuse ; et c’est pour le catholicisme suisse, encore, qu’il versait une dernière goutte d’encre. L’agonie brisa sa plume : l’enseignement qu’il voulait donner à la démocratie suisse, et par elle à toutes les démocraties, demeura interrompu. Son lit de mort fut hanté de visions tragiques. Il traversa certains délires où s’exprimèrent, en un hoquet suprême, les convictions passionnées de sa vie tout entière L’histoire du monde se promenait en hallucinations, devant son œil fiévreux,