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vraie langue et non un simple jargon ou baragouinage de sons quelconques dits au hasard. Ce sont des mots, des mots qui expriment des idées, et le rapport des mots aux idées est constant ; la signification des termes martiens est constante. Cette langue a même ses consonances, son accent, ses lettres de prédilection ; ce qui fait qu’on la reconnaît quand Hélène la parle (alors même qu’on ne la comprend pas). C’est « une langue naturelle, en ce sens qu’elle est automatiquement enfantée, sans la participation consciente de Mlle Smith. »

Ceci établit bien évidemment l’imagination ardente de ce polygone désagrégé qui vagabonde des Indes à la planète Mars, et qui construit bien nettement des romans compliqués.

Mais on a voulu aller plus loin et faire jouer au psychisme inférieur un rôle prépondérant, sinon exclusif, dans l’inspiration artistique ou littéraire, en général. Ceci est plus discutable.

M. Ribot, dans son Essai sur l’imagination créatrice, déclare que le « facteur inconscient » de l’imagination est « ce que le langage ordinaire appelle l’inspiration. »

Les auteurs qui partagent cette manière de voir remarquent dans l’inspiration la brusquerie et l’inconscience, souvent très nette, du phénomène ; l’inspiré semble recevoir une révélation brusque et extériorise même souvent l’origine de cette inspiration. Ils montrent aussi le rôle du sommeil chez certains artistes dans la composition et en arrivent à formuler une théorie de l’inspiration automatique et inconsciente, de l’inspiration polygonale, à l’appui de laquelle ils citent les faits de Tartini, Schumann, Schubert… (Chabaneix, Régis). « Ce qui semble acquis, dit M. Ribot, c’est que la génialité ou du moins la richesse dans l’invention dépend de l’imagination subliminale, non de l’autre, superficielle par nature et promptement épuisée. Inspiration signifie imagination inconsciente et n’en est même qu’un cas particulier. L’imagination consciente est un appareil de perfectionnement. »

Je ferai d’abord remarquer que les deux grands caractères « soudaineté, impersonnalité » de l’inspiration ne prouvent rien ni pour ni contre la théorie polygonale exclusive. Ce sont des caractères mystérieux qui peuvent se présenter dans tous les psychismes, dans le supérieur comme dans l’inférieur. Dans les réflexions les plus volontaires et les plus conscientes, se passant certainement en O, nous avons parfois brusquement de ces