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tiellement désagrégé, le souvenir déposé pendant la distraction.

Dans ce cas très simple, O, en retrouvant l’impression dans le psychisme inférieur, en reconnaît l’origine. Cette reconnaissance de l’origine devient plus difficile et reste incomplète dans les cas plus compliqués comme le suivant.

Vous voyez, en rêve, une personne ; le lendemain, vous la rencontrez dans la rue et la reconnaissez. Vous êtes stupéfait et croyez à la prémonition. Il n’en est rien. Vous aviez déjà rencontré cette personne une ou plusieurs fois sans faire attention à elle, c’est-à-dire sans que O gardât aucun souvenir d’elle. Mais son image s’était, à votre insu, gravée dans la mémoire polygonale. Vous l’avez retrouvée en rêve, dans vos centres psychiques inférieurs désagrégés et, le lendemain, vous vous êtes rappelé votre rêve quand vous l’avez rencontrée de nouveau.

La reconnaissance de l’origine polygonale d’une impression peut être plus incomplète encore et hésitante. Un soldat, cité par Tissié, rêve qu’il passe au Conseil de guerre et qu’il rend son sabre. Au réveil, craignant que ce cauchemar ne soit réel, il porte la main sur son sabre pour savoir s’il est encore près de son lit. M. Remy de Gourmont parfois, d’après Chabaneix, de la peine à distinguer le rêve de la réalité et confond par exemple ce qu’un ami lui a dit la veille et ce qu’il a rêvé la nuit précédente. Chez Edgar Poë l’impression est même si forte que « les idées folles du pays des songes » deviennent pour lui l’« unique et entière existence elle-même. »

Si la conscience de l’origine du souvenir manque complètement et si cependant le sujet reconnaît l’objet qu’il croit n’avoir jamais vu, il en résulte une angoisse souvent très grande. C’est ce que diverses personnes éprouvent et qu’on appelle sensation du « déjà vu, » du « déjà entendu, » du « déjà éprouvé » ou sensation de fausse reconnaissance. Aucune description ne vaut celle que M. Paul Bourget a bien voulu me donner de lui-même :

« Quelqu’un prononce une phrase et, avant que cette phrase ne soit terminée, j’ai l’impression soudaine et irrésistible que j’ai déjà entendu les mêmes mots, dits par la même personne, avec le même accent. L’illusion va plus loin. Aussitôt, ma propre réponse que je n’ai pas encore prononcée me paraît avoir été entendue par moi. Ou, pour être plus précis, j’ai l’impression que j’ai déjà émis les sons que je vais émettre, et cela à mesure que je les émets. C’est alors, et pendant que je parle, que l’illusion