Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’exercer leur contrôle normal sur les centres inférieurs : c’est l’état de distraction.

Quand Archimède sort dans la rue en costume de bain, en criant : « Eurêka ! » il marche avec ses centres inférieurs à la façon d’un somnambule ; seulement ses centres supérieurs, au lieu de dormir, sont complètement absorbés par l’élaboration et la contemplation de son problème.

C’est ainsi que La Bruyère dit de Ménalque : « Il pense et il parle tout à la fois, mais la chose dont il parle est rarement celle à laquelle il pense. » Il pense bien à ce qu’il dit, mais il n’y pense qu’avec son psychisme inférieur, tandis que ses centres supérieurs pensent à autre chose.

Quand Xavier de Maistre sort pour aller à la Cour et se retrouve à la porte de Mme de Hautcastel, à un demi-mille du Palais-Royal, c’est avec ses centres psychiques inférieurs qu’il s’est dirigé, tandis que ses centres supérieurs pensaient à l’art. Ensuite son psychisme supérieur revient à la conscience des choses pratiques, reprend la direction du mouvement et l’autre remet la bête dans le droit chemin. C’est encore sous l’action du psychisme inférieur, émancipé et désagrégé, que Xavier de Maistre fait et prend le café, se brûle les doigts en faisant griller le pain et, sans M. Joannetti, mettrait ses bas à l’envers et sortirait sans épée.

C’est toujours avec son psychisme inférieur qu’au moment le plus difficile de la bataille de Wagram, Napoléon (au dire du général de Lowenstein) descend de cheval, se met à cueillir des fleurs et des épis, en fait un bouquet, puis le défait et recommence ainsi une demi-douzaine de fois.

On retrouve dans ces actes du distrait les caractères d’automatisme et d’inconscience dans le psychisme que nous ont révélés déjà les actes du somnambule et du dormeur.


De ceci nous pouvons conclure dès à présent qu’il faut distinguer, chez l’homme, la fonction psychique supérieure et la fonction psychique inférieure. À la première appartiennent les actes consciens, volontaires, libres, dont le sujet est responsable ; à la seconde, les actes inconsciens, automatiques, involontaires et n’entraînant pas de responsabilité.

À l’état normal, ces deux ordres de fonctions s’intriquent, se superposent et les deux ordres de centres collaborent d’une ma-