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voilà peut-être une des raisons pour lesquelles ils devinrent si répandus dans cette société. L’autre danger, c’est que, dans bien des cas, ceux qui avaient intérêt à croire à ces accusations les tenaient pour vraies sans se donner la peine d’en vérifier l’exactitude, et il a pu se faire ainsi qu’après avoir couru dans le monde, elles se soient glissées dans l’histoire. C’est ce qui est arrivé peut-être pour Catilina, comme pour beaucoup d’autres. On l’accuse d’avoir assassiné son beau-frère, probablement par complaisance pour sa sœur, qui ne pouvait pas souffrir son mari ; d’avoir tué sa femme, pour en prendre une autre ; son fils, dans l’intérêt d’une marâtre, qui ne voulait entrer que dans une maison vide d’héritiers. Tous ces crimes sont possibles dans l’état où se trouvait alors la société romaine, et la moralité de Catilina ne les rend pas invraisemblables ; mais, comme ils sont de ceux que le public ne connaît que par des indiscrétions privées ou des bavardages malveillans, quand ils n’ont pas été l’objet d’une enquête sérieuse, il nous est aussi difficile, à la distance où nous en sommes, de les démentir que de les affirmer. Ce qu’on peut dire, c’est qu’ils sont fidèlement rapportés par tous les écrivains anciens qui se sont occupés de la conjuration.

Mais qu’est-il besoin de nous attarder sur des faits que nous n’arriverons jamais à bien connaître ? Il y en a d’autres qui se sont passés au grand jour, sur les places publiques, dans les rues de Rome, et à propos desquels aucun doute n’est possible. Ceux-là nous permettent de juger Catilina en toute sûreté de conscience.

Il devait avoir à peu près vingt-cinq ans lorsque Sylla ramena de l’Orient ses légions pour reconquérir le pouvoir que Marius lui avait ôté. Nous ne sommes pas surpris de trouver Catilina dans son parti : c’était d’abord celui où l’appelait sa naissance ; mais il avait d’autres raisons de le choisir. Son père ne lui avait laissé qu’un grand nom ; il devait être pressé d’y joindre une fortune. Or personne n’ignorait que Sylla était d’une libéralité sans mesure pour ceux qui se dévouaient à le servir. Il s’attachait les officiers et les soldats qui l’avaient suivi dans l’Asie en fermant les yeux sur leurs désordres et leurs rapines ; on revenait toujours riche des campagnes qu’on avait faites avec lui. A Rome et dans l’Italie, les profits devaient être bien plus grands encore. Les guerres civiles sont toujours des guerres sans pitié, et Sylla n’était pas d’humeur à épargner ses ennemis.