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des bêtes, qui vivent courbées vers la terre et asservies à leurs appétits grossiers. » On remarque que ces grands mots de gloria, de fama, de claritudo, d’immortalitas reviennent souvent dans ses prologues. Cette célébrité qu’il paraissait souhaiter avec tant d’ardeur, il l’avait demandée d’abord à la politique, et elle la lui avait refusée ; mais il pouvait s’adresser ailleurs pour l’atteindre. Comme il aimait les lettres, il n’ignorait pas « que les arts qui sont du domaine de l’esprit offrent beaucoup de moyens d’arriver à la renommée. » Pendant sa jeunesse, il avait eu un moment la pensée d’écrire l’histoire ; il y revint dans son âge mûr. Il était d’autant plus certain d’y être vite remarqué que Rome n’avait pas eu encore de grand historien, et que, comme il le dit lui-même, « la postérité ne garde pas seulement le souvenir de ceux qui font des actions d’éclat, mais de ceux aussi qui les racontent. »

A l’époque suivante, dans les premières années du principat d’Auguste, on vit avec surprise quelques hommes d’État, comme Pollion et Messala, qui remontaient par leurs origines jusqu’à l’époque républicaine, après avoir servi quelque temps le régime nouveau, se retirer des affaires, avant que l’âge ne les y forçât : Peut-être trouvaient-ils que la faveur d’un prince ne pouvait pas leur offrir ce que leur aurait donné d’honneur et d’éclat un gouvernement libre. Pour colorer leur retraite et ne pas paraître des mécontens, ils rassemblèrent autour d’eux des gens de lettres, tinrent dans leurs palais des académies, ouvrirent des salles de lectures publiques et demandèrent à la littérature une situation que la politique leur refusait ou ne leur faisait pas assez brillante. C’est Salluste qui leur en avait donné l’exemple.


II

Mais pourquoi Salluste, quand il se fut décidé à composer des livres d’histoire, a-t-il été choisir, comme sujet, la conjuration de Catilina ? On en a donné divers motifs, dont plusieurs ne me paraissent pas très vraisemblables.

Comme il a passé la première moitié de sa vie dans les affaires publiques, et qu’il n’a pas eu toujours à s’en féliciter, on a pensé qu’il avait des rancunes à satisfaire et qu’il voulait se venger de ses ennemis. Mais la conjuration de Catilina ne semblait pas de nature à lui en fournir l’occasion. Sans doute il ne se refuse pas