Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le Catilina de Salluste, dans sa petite taille, n’en est pas moins le premier en date des grands ouvrages historiques que la littérature romaine nous a laissés. Aussi est-il naturel qu’on souhaite savoir dans quelles circonstances il s’est produit, comment l’auteur a été amené à l’écrire, et les intentions qu’il avait quand il l’a composé. Ces questions ne sont pas toutes faciles à résoudre.

Il me semble qu’on peut assez exactement préciser de quelle époque il est. Comme on est sûr qu’il n’a pas pu paraître du vivant de César, et qu’on nous dit que Salluste est mort quatre ans avant la bataille d’Actium, il a dû s’occuper de ses ouvrages historiques de 710 à 718, et s’il a commencé par le Catilina, ce qui paraît assez vraisemblable, comme il faut lui laisser le temps de l’écrire, il doit l’avoir publié de 712 à 713, c’est-à-dire immédiatement après la bataille de Philippes et la défaite des républicains. Pour la première fois à ce moment, depuis la mort de César, il n’y avait pas d’armées en présence ; ce n’était plus la guerre, mais ce n’était pas la paix encore. Les temps étaient toujours très sombres ; les victorieux distribuaient à leurs soldats les terres des vaincus, et, quand elles ne suffisaient pas, ils prenaient aussi les autres. Le pillage et le massacre désolaient l’Italie et les provinces ; les chefs des Césariens s’étaient partagé le monde, mais comme aucun d’eux ne paraissait content de sa part, ils étaient toujours sur le point d’en venir aux mains. Et pourtant il semble que, malgré ces inquiétudes et ces menaces, on devait sentir comme un souffle de renouveau dans cette société malade. Les guerres civiles avaient brusquement interrompu un admirable mouvement littéraire qui vraisemblablement se serait développé, si le temps avait été plus favorable. En quelques années, les lettres romaines avaient produit, entre beaucoup d’autres, Cicéron, Lucrèce et Catulle. Ils avaient disparu presque ensemble ; mais il était bien probable qu’à la première éclaircie, l’élan était prêt à recommencer. Dès le lendemain de Philippes, on pouvait en saisir quelques signes précurseurs. Des bords du Pô arrivaient les premières bucoliques de Virgile, et à Rome, parmi les voix aigres des mécontens, on distinguait celle d’Horace. C’est vers le même temps, à l’aurore encore confuse et trouble d’un grand siècle, qu’on doit placer, je crois, l’apparition du Catilina.

Salluste, quand il publia son premier ouvrage, devait avoir