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aurait été la valeur de sa signature ? Il aurait pu également s’y refuser, et il est même probable qu’il l’aurait fait ; et alors quel n’aurait pas été l’embarras du Président ? Aurait-il renvoyé ses ministres huit jours après les avoir pris ? En aurait-il facilement trouvé d’autres après cet acte d’autorité personnelle ? En tout cas, personne n’aurait compris que M. le Président de la République eût fait connaître soudainement, et comme par explosion, tout à la fin d’un long débat, une opinion qu’il aurait gardée pour lui seul depuis l’origine. Un acte comme celui que lui conseillait M. le général Billot ne peut jamais être que la conséquence de plusieurs autres, et non pas une surprise de la dernière heure. M. le général Billot avait donc posé la question dans des termes corrects, mais peu vraisemblables, ce qui infirmait l’importance de sa manifestation. Il n’en est pas de même de M. Casimir-Perier. Rien de plus net, au contraire, de plus précis, de plus pratique que son observation : le Président ne peut rien que par ses ministres. En partant de là on peut se livrer à des hypothèses très diverses, soit pour prouver que le Président de la République ne dispose personnellement que de pouvoirs très limités, soit pour montrer comment il peut échapper aux gênes que la Constitution lui impose et faire connaître, sinon faire prévaloir son opinion. La Constitution de 1875, est une combinaison un peu empirique des constitutions antérieures. Elle porte à la fois la marque d’époques différentes, et aussi, comme il était inévitable, celle du moment où elle a été votée au milieu de tiraillemens et de difficultés dont nous n’avons pas perdu le souvenir. On a mesuré alors d’une main assez parcimonieuse les pouvoirs du Président, et M. Casimir-Perier n’est pas le seul à en avoir fait l’observation : M. Loubet l’a faite, lui aussi, dans le discours qu’il a prononcé en 1900 au banquet des maires. Ce sont là des questions délicates, qu’il serait sans doute difficile de résoudre en ce moment, — il serait peut-être même dangereux de vouloir l’essayer ; — mais sur lesquelles il est toujours utile d’appeler la réflexion du pays. Il importe, en effet, quand le jour viendra de les traiter, de n’être pas pris au dépourvu. A cet égard, la consultation que nous a donnée M. Casimir-Perier, sous une forme vive et spirituelle, mérite d’être retenue ; mais il sait bien lui-même qu’elle n’est pas complète. « Je pourrais m’étendre sur ce sujet, dit-il, et peut-être le ferai-je un jour. » Nous en acceptons l’augure.


L’assassinat du grand-duc Serge a produit partout une émotion profonde : on ne peut pas dire qu’il ait également causé de la surprise.