Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

générale du monde, il était prudent de se livrer à des expériences douteuses. Mais l’intérêt politique a été le plus puissant : il a étouffé tous ces scrupules, s’il ne les a pas complètement dissipés. Parmi les adversaires de la loi, quelques-uns, comme M. Mézières par exemple, n’étaient nullement hostiles au principe du service de deux ans. Ils croyaient même qu’en l’appliquant dans certaines conditions et avec certaines garanties, on augmenterait la force de l’armée au lieu de la diminuer. Mais ces garanties et ces précautions leur ont été refusées. De tous les amendemens qu’ils ont présentés, pas un seul n’a été voté. Dès lors, que pouvaient-ils faire, sinon voter contre la loi ou s’abstenir ? Nous ne reviendrons pas ici nous-même sur un débat épuisé ; les argumens pour et contre sont bien connus ; on peut seulement se demander si le Sénat, assemblée purement politique et civile, avait en elle toutes les lumières nécessaires pour en juger. M. Mézières lui a demandé une fois de plus, en termes émus et émouvans, de prier M. le ministre de la Guerre de consulter le Conseil supérieur et de lui communiquer l’avis qu’il en aurait reçu. Quelles que soient l’intelligence et les capacités de M. Berteaux, son autorité aurait gagné à s’appuyer sur celle d’un conseil technique. Personne n’ignore, en effet, que M. Berteaux est, de son métier, agent de change. Il a sans doute une grande facilité d’assimilation ; il parle en bons termes de ce qu’il vient d’apprendre ; il affirme avec beaucoup d’assurance. Cela suffit-il pour inspirer pleine confiance dans une question où les compétences professionnelles sont indispensables, et qui importe si fort à la sécurité du pays ? M. Mézières ne l’a pas cru ; mais M. Berteaux a déclaré fièrement que, si on doutait de lui, il saurait ce qui lui restait à faire. On a vu autrefois des ministres de la Guerre, qui étaient des généraux blanchis sous le harnais, consulter le Conseil supérieur pour s’éclairer eux-mêmes, et faire connaître son avis aux Chambres pour les éclairer à leur tour. Ce qu’ils ont fait, M. Berteaux a refusé de le faire. Les partisans du service de deux ans ont semblé, pendant toute cette discussion, parler au nom d’un dogme supérieur à tout, indiscutable et intangible. Ce qu’ils attendaient de l’assemblée, ce n’était pas un acte de conviction, résultat d’une enquête longue et complète, mais un acte de foi. Tout le monde ne pouvait pas avoir cette foi a priori, et M. le général Billot a paru l’avoir moins que personne. Il a été plusieurs fois ministre de la Guerre. Il est aujourd’hui le représentant le plus en vue de notre ancienne armée. En vain a-t-il essayé d’arrêter l’assemblée sur la pente où elle se laissait entraîner : c’est tout au plus si son intervention énergique a retardé de quelques heures un