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rentre au foyer et une fausse paix règne quelques semaines, décembre 1852 à janvier 1853.

La guerre va reprendre de plus belle, le caractère de Clésinger empirant de plus en plus. « Un jour de bon pour quinze de mauvais, » telle est la proportion. Solange poursuit la restitution de sa dot, et menace son mari de la saisie. Clésinger, de son côté, avait essayé peu auparavant de se faire une arme contre Solange des lettres de sa mère. Il inaugurait, ainsi le système qu’il continuera plus tard. Mais George Sand avait coupé court à la manœuvre :


Je sais, écrit-elle à sa fille, que Clésinger n’a pas et n’a jamais pu avoir de lettres de moi qui ne fussent très sévères pour lui dans toute cette affaire. S’il les montre en entier, ces lettres dont tu as d’ailleurs la copie, elles ne peuvent remplir son but. Je ne crois pas qu’un avocat qui se respecte (et Bethmont est de ceux-là) se permette de citer une phrase isolée, un fragment approprié aux besoins de sa cause. Ce serait plaider comme les feuilletonistes écrivent. C’est dans ce cas pourtant, dans ce cas seulement, que j’autoriserais Me Duvergier [l’avocat de. Solange] à lui fermer la bouche, la preuve en main.


Ainsi muselé, Clésinger, en dépit de ses violentes bourrasques et d’un notable relâchement de ses mœurs, vécut relativement en famille toute l’année 1853. Nini, tantôt chez sa mère, tantôt à Nohant, embellissait, se développait à vue d’œil. Les deux femmes s’extasient devant ses grâces, citent ses mots.


Elle me tutoie, écrit la grand’mère, avec ravissement (30 mars 1853) ; elle m’envoie paître. Elle jette son bonnet par-dessus les moulins. Tout cela pourtant sans méchanceté ni colère, et d’un air voyou contre lequel il est difficile de garder sa dignité. — (9 février 1854) : Il n’y a de drôle ici que Nini, c’est toute la gaîté de la maison, avec Manceau qui se met tellement à son niveau, qu’elle m’adresse souvent cette question : « Bonne maman, est-ce que je suis encore-plus bête que lui ? » Elle est toujours gentille à croquer.


Solange à sa mère.

Elle dit qu’elle aime sa bonne maman grand comme le ciel et loin comme les étoiles… Elle compose des mots. Elle dit que ses souliers sont trop grands parce que le mesurier s’est trompé ; que le peinturier a mal arrangé les portes, et que le peigneur lui a coupé les cheveux trop courts. Elle demande pourquoi il y a une petite Nini dans les yeux de tout le monde, etc. (6 août 1853.)