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jours, car tu apprendras ce rôle en une heure… Maurice est effrayé de faire un amoureux. Il est comme toi et comme moi aussi ; la tendresse et les larmes de convention, sur les planches, ne lui viennent pas du tout. Mais il est le seul dont la tournure aille au rôle, tant pis pour lui. On a rejoué avant-hier, pour faire débuter la jeune première, une de nos anciennes improvisations, revue et corrigée, Pierrot comédien. Te souviens-tu que tu faisais le rôle de Valère, le jeune fils de la baronne dévote chez qui débarquent des comédiens ? Tu étais un bien joli amoureux, pas amoureux du tout.

… Voilà toutes les nouvelles de Nohant. Marquis [le chien] est tondu, Palognon [Villevieille] dessine, Lambert peint, Manceau grave, Maurice fait un peu de tout. Moi, je fais des chapeaux de paille, à la veillée. Je t’en ferai un quand tu seras ici, et que je pourrai te l’essayer à mesure. Bonsoir, etc.


Enfin Solange arrive. La gaîté reprend de plus belle à Nohant. On joue la comédie, on se promène, on bavarde. Nini emplit le vaste escalier des éclats de sa joie enfantine. Mais cela ne dure qu’un instant. Un matin, George Sand apprend que Solange a « décampé » subitement, et décampé seule. En même temps on lui remet le billet suivant griffonné au crayon :

Ma chérie, décidément je pars. J’aime mieux cela. Le style ne fait aucun effet sur mon mari. Et puis j’aime mieux juger par mes propres yeux. Je veux savoir si c’est un caprice, ou si réellement il a besoin de moi pour quelque affaire, ou s’il est malheureux sans moi. S’il ne s’agit-que de cancans, je reviendrai de suite. Adieu, ma mignonne, ou plutôt au revoir. Je te confie la santé de Nini et je charge Manceau de la conduire tous les matins. Elle s’est éveillée, cette nuit, pour dire : « Gentille grand’maman ! »

SOLANGE CLESINGER.

Solange ne devait pas revenir tout de suite. Que s’était-il passé ? Le mari, retour de Londres, avait-il recueilli une médisance qui avait éveillé sa jalousie ? Et Solange, qui tenait encore à son mari, avait-elle tout quitté sur une lettre inquiétante ? Il est fort probable. On devine l’émotion de la mère.


J’ai été douloureusement surprise en apprenant ce matin que tu étais partie, et partie seule. Je n’aime pas qu’une jeune femme comme toi s’en aille seule par les voitures publiques, et j’aurais voulu que Varennes [le vieux docteur] t’accompagnât, puisqu’il était venu ici pour toi. Je ne voudrais pas non plus être chargée longtemps de Nini de cette façon. Elle est gentille et adorable, mais enfin je ne connais pas sa bonne, et je n’ai pas d’autorité sur elle. Si elle ne gouvernait pas bien l’enfant, je n’aurais pas le droit de lui rien commander comme je le ferais si c’était une personne à moi.